A propos de la part des dépenses publiques dans le PIB

avril 8, 2019 0 Par Mathias Weidenberg

France Stratégie a publié ce weekend une série de tweets et messages parlant du « poids » des dépenses publiques en France. L’idée était de préparer le terrain aux annonces du gouvernement sur la base du « Grand Débat National », un machin créé et organisé par le gouvernement pour éviter de débattre au Parlement avec son opposition légitime ou d’engager des négociations avec les GILETS JAUNES, débat auquel participa principalement des électeurs de ce gouvernement, plutôt aisés.

L’idée magique, tant de France Stratégie que du premier ministre Edouard Philippe, c’est promettre la baisse des impôts grâce à la baisse des dépenses publiques, afin d’enfin réduire « le poids » des dépenses publiques et se rapprocher d’une « moyenne » européenne.

Mais il y a plusieurs problèmes.

Le premier, c’est que dans l’histoire de la France , JAMAIS la baisse des dépenses publiques n’a mené à une baisse de la part des dépenses publiques dans le PIB.

Pire, les rares fois où la part des dépenses publiques a baissé en France dans le PIB depuis … 1905, c’est avec des politiques radicalement inverses de celles proposées.

Je reprends ici mon article publié en août 2018.

« La dépense publique en France a augmenté fortement à 4 occasions historiques. Les sources sont 4 articles cités en référence au début de cet article:

1. Dans un article de 1991, Alain Gubian revenait pour la Caisse de dépôt et consignation sur l’histoire à long terme de la dépense publique avant de se concentrer sur l’évolution depuis 1945.

2. En décembre 2007, sous le premier ministre François Fillon, et avec un sens inouï de la prospective – les premiers signes de la crise financière des sub-primes aux États-Unis étaient déjà visible, avec la première intervention massive de la BCE en Août 2007, 4 mois avant cette note, prémices à une crise financière et une récession mondiale 7 mois plus tard – la direction générale du Trésor publiait dans la lettre numéro 26 de Tresor-Eco une mise à jour en quelque sorte couvrant l’évolution 1991- 2007 et appelant à de la réduction encore plus forte.

3. Le rapport du ministère du budget en préparation de la loi de finance 2013 – avant les grandes dépenses du CICE et les réduction des déficits à coût d’impôts pour les plus modestes sous le niveau des 3% de PIB de 2017 – permet d’analyser l’impact de cette crise.

4. Enfin, le « Forum de la Performance » de la direction du budget a publié en mars 2018 une synthèse de la dépense publique pour 2016, 2017 étant dans ce monde sans efficacité comptable pas encore connu, ce qui est dommage vu l’évolution à la baisse due à la conjoncture qui devrait briser le point de vue idéologique et inefficace pris sur la dépense publique depuis 27 ans, une reprise de la croissance du PIB stabilisant voire réduisant automatiquement la part des dépenses publiques dans le PIB, SANS que la réduction de ces dépenses n’y joue le premier rôle.

Que nous disent ces rapports utilisés comme sources techniques?

1. Si la dépense publique augmente, c’est par à coups brutaux, tous liés à des crises d’ampleur historique.
Entre ces crises, la dépense publique évolue à peu près en phase avec l’évolution nominale du PIB voire légèrement en dessous.

2. Le « dérapage » des dépenses publiques depuis 1910 n’est donc pas le fait des politiques de tous les jours, de dépenses somptuaires ou des salaires des fonctionnaires, mais de chocs exogènes et de leurs conséquences.

Qu’appelle t-on des crises historiques ? Des crises politiques et économiques affectant non la France seule mais l’ensemble du monde.
Car voici ces 4 moments de fortes progressions:

1. Alors que la troisième république a une dépense publique oscillant entre 10 et 13% du PIB, la Première Guerre Mondiale la porte à 20-23%.
La première crise historique, c’est 1914-18.

La politique déflationniste des gouvernements « progressistes », qui jusqu’en 1936 sont plutôt favorables « à l’offre », avec des figures comme Flandrin ou Laval, ne va pas permettre pourtant de réduire sensiblement cette part de la dépense publique.
Elle va par contre fortement ralentir la croissance du PIB malgré les investissements dans reconstruction du Nord et de l’Est – le PIB de 1913 n’est retrouvé qu’en 1923.

La crise 1929 détruira cet acquis de croissance, le PIB de 1929 n’étant retrouvé qu’en 1938, après deux années de politique de front populaire, trop tard cependant pour préparer la France à la crise suivante.

2. La seconde crise historique c’est la seconde guerre mondiale et ses conséquences.
Après 1945, face à une deuxième reconstruction en 25 ans, la dépense publique dans le PIB bondit à 33-35%.

Le papier de la CDC souligne alors ce que tous les technocrates de la direction du trésor vont répéter pendant 28 ans, préparant d’ailleurs la politique que Macron va mettre en place à partir de 2019: ce n’est pas les dépenses publiques de fonctionnement ou des « dérapages », mais la volonté politique, face aux dégats de sociétés individualistes sans filets de sécurité, de construire une économie sociale de marché, avec la solidarité, la fraternité, comme conditions de la liberté et de l’egalité, avec la création de la Sécurité Sociale.
C’est elle qui depuis et à partir de ce moment là sera désignée comme la « cause » de l’augmentation des dépenses publiques dans le PIB, c’est elle que Macron va privatiser et découper en tranches pour réduire la dépense publique, sans réflexion sur son utilité sociale et économique.

Gardez donc cette évolution en tête: on passe de 10% en long terme à 30% suite à deux guerres mondiales.

Si on veut vraiment réduire la dépense publique, il semble déjà qu’éviter des guerres mondiales, donc s’interroger sur leurs causes, est plus efficace que le non remplacement des départs en retraite…

3. La troisiéme crise qui fait passer un palier c’est … la crise globale pétroliére de 1973 et le plan de relance giscardien (et oui!) des années 74-75, dans une contexte mondial de relance pour éviter une récession mondiale, puis, suite au marasme des années 1976-1984, l’évolution asynchrone de la croissance et des dépenses.

Avec Giscard, on passe d’un coup de 30 à 35%, et le marasme suivant des années 78, 79, 80, 81, la relance de fin 81 et 82, poussent encore à 45%.
Lorsque la croissance des trente glorieuses était à plus de 4%, les dépenses publiques progressaient en moyenne de légèrement moins, 3,5% par an.

Lorsque la croissance s’est effondrée entre 0 et 1%, et que le chômage a explosé, la dépense publique elle était toujours sur une trajectoire de 3 à 3,5%.

C’est à partir du tournant de la rigueur de 1983 que ce taux passe durablement en dessous ou à peu près à 2%, c’est à dire le plus faible taux de progression en volume depuis 1945!
Cependant, la croissance dépassant rarement les 2%, sur 35 ans, la part de la dépense publique a tendanciellement peu baissée hors accidents mondiaux.

En ralentissement économique cela progresse, pour flirter avec les 50%, comme sous Beregovoy- Juppé, cela baisse sous Jospin et puis dans la période de croissance 2003-2006 cela baisse légérement vers les 47%.

4. La quatrième crise qui va faire bondir la taux de dépense publique dans le PIB, c’est la crise financière mondiale de 2007-2008, qui fait prendre, avec le plan de relance de 2009, et le traitement social de la crise, presque 10 points à la dépense publique.
On passe de 47 à 56%.
Depuis, ce taux est assez stable entre 54 et 57% suivant la croissance du PIB, c’est à dire lorsque la croissance est supérieure à la progression mécanique des dépenses publiques en volume, la part des dépenses publiques baisse.

Entre 1960, où la part des dépenses publiques était de 30%, et 2016, 56%, la part des dépenses de fonctionnement dans les dépenses publiques a reculé de 41% à 34%.
Ce qui a progressé, c’est les dépenses de la sécurité sociale.
Contrairement au récit politique de « l’étranglement par la dette et les intérêts », la part des intérêts est passé de 1 à 3% de la dépense publique. C’est pas beaucoup.

 

Donc:
Depuis un siècle, 4 crises mondiales exogènes, deux géopolitiques, deux économiques, ont poussé la société francaise à se protéger avec l’Etat et en choisissant la solidarité nationale.
Pourtant, tous les éditorialistes accordent « aux faineants de pauvre » et « la gabégie » la responsabilité de ces évolutions.
Certains disent même que ce serait « du communisme » (Quatremer par exemple).

Or.

Le communisme se définit par la propriété collective, étatique, des moyens de production. Le modèle soviétique ne reconnaissait pas la propriété privée.
Dans l’économie soviétique, les entreprises appartenaient à 100% à l’Etat.
Mais cela ne veut pas dire 100% de dépense publique dans le PIB soviétique! Ce qu’un sovkhoze agricole ou un Kombinat industriel produisait était bien de l’Activité économique hors dépense publique.

Même lorsque Renault, nationalisée pour intelligence avec l’ennemi, est propriété de l’Etat francais, ses activités, les salariés de l’entreprise, ne sont pas comptabilisés dans la dépense publique.

On n’arrive même à ce paradoxe: c’est alors que l’Etat francais posséde le moins de moyens de production depuis 1945 que la part des dépenses publiques dans le PIB sont le plus élevées, après 33 ans de privatisations toujours plus étendues!

Et ces ventes de capital, notons le, n’a permis ni de booster la croissance, ni de désendetter l’Etat. En conclusion:

1. La dépense publique est élevée parce qu’à 4 reprises des crises mondiales ont ébranlé le monde, et ce fut la réponse francaise à ces convulsions.
Par comparaison, l’Allemagne choisit à deux reprises le militarisme impérialiste et la guerre d’agression, à deux reprises la déflation artificelle de sa monnaie pour s’enrichir au coût de ses partenaires commerciaux, contribuant en 1973 à la fin du système monétaire crée en 1945, et par conséquent, aux conditions nécessaires à la crise de 2007.

2. La réduction de la dépense publique dans le PIB ne dépends pas de l’évolution des dépenses, remarquablement stable et prévisible, mais du PIB lui-même. La méthode la plus rapide pour réduire cette part, comme dans les 30 glorieuses, c’est une forte croissance.
(Aux décroissants: la croissance est une mesure, c’est tout. Transformer l’Agriculture intensive en agriculture extensive bio sera mesuré en points de croissance. La décroissance, en économétrie, croitra. Alors lâchez la grappe avec « la croissance n’est pas la solution » et allez jouer aux billes).

3. Jamais l’économie francaise n’a été le moins mixte, le moins proche d’un modèle de propriété collective des moyens de production depuis 1945, la moins communiste en somme.

4. Mais ce qui hérisse nos bourgeois, c’est la persistence de la sécurité sociale. Car c’est un outil de transfer et de solidarité des classes les plus riches vers les moins aisées, et le dernier instrument pour maintenir dans la société francaise l’idée d’un bien public.

Les 4 rapports utilisés pour ce statut le soulignent : la Secu, voilà l’ennemi.
C’est le prochain chantier marchiste.
Pourtant, les nuages s’amoncellent, et un cinquième choc exogène, mondial, s’annonce. Nous n’y serons, comme en 1939, en 1973, en 2007, pas préparés, ces élites étant persuadées que l’existence même des crises est en théorie impossible, et l’Histoire, la grande, tellement « ancien monde ». »

Image tirée de Les dépenses publiques françaises depuis un siècle In: Economie et statistique, N°43, Mars 1973. pp. 3-14Screen Shot 2019-04-08 at 21.12.22