Bienvenue!

février 24, 2019 2 Par Mathias Weidenberg
Ces chroniques reprennent le fil de pages facebook et d’un blog spécialisé sur la critique de la raison stupide.
Voir Un début.
Il est donc logique de commencer par rendre hommage à Erasme:
71499782-730D-41FB-8B95-61D3183656F9
En introduction, rappelons que la raison stupide est l’une des raisons humaines.
un philosophe italien, Cipolla, en avait proposé 5 lois fondamentales, les voici:
1. « Toujours et inévitablement, chacun d’entre nous sous-estime la quantité d’individus stupides en circulation ».
– 2. On trouve la même proportion d’individus stupides dans tout groupe social quel qu’il soit.
– 3. Cet individu fait du tort à un autre ou à d’autres sans en tirer aucun avantage pour voire pour en subir une perte.
– 4. « Les individus qui ne sont pas stupides sous-évaluent toujours le potentiel de nocivité des personnes stupides » et commettent trop souvent l’erreur majeure de traiter ou de s’associer avec elles.
– 5. « Les gens stupides sont les personnes les plus dangereuses qui soient. La personne stupide est plus dangereuse que le bandit »
7F714F10-6D70-4AE6-ADA4-DCDC79D6CCFA
 
Les décisions absurdes, ouvrage parfait pour étudier les erreurs stupides d’êtres et organisations très intelligentes, par Christian Morel Les décisions absurdes
In search of Stupidity, un ouvrage sur les grandes erreurs marketing des acteurs de l’informatique professionnelle
Stupidité vient de stupeur, c’est a dire un état psychologique et physiologique, dans lequel une partie des capacités cognitives sont littéralement paralysées.
L’être ou l’organisation stupide s’obstine à rester immobile dans son paradigme, et ne voit pas, ou est incapable de réagir en la voyant, la catastrophe à venir. L’exemple frappant est celui de cet équipage d’avion, qui, soumis au stress d’une situation technique délicate mais pas critique, oublie de vérifier ses niveaux de carburant, puis, alerté que ces niveaux baissent, n’arrive pas à changer de priorité pour s’occuper de la question « en a t-on assez pour atteindre l’aéroport » au lieu du problème technique secondaire, et qui s’écrase a deux kilomètres de la piste…
L’idiotie est comme un comportement : répéter celui ci en sachant que les chances de réussir son entreprise sont nuls, les répétition de l’acte en question ayant déjà eu ce resultat. « Faire une idiotie » c’est surtout la refaire! « Ne fais pas d’idioties » est souvent accompagné d’un récit d’expérience démontrant l’échec de l’acte idiot – et d’ailleurs combien d’enfants punis injustement pour une bêtise, alors que l’intention ou la préméditation étaient absentes, et seule la maladresse responsable ?
Être idiot c’est donc faire quelque chose d’idiot, alors qu’être stupide, c’est ne pas faire quelque chose d’intelligent.
Dans un livre paru à la fin des années 1980, l’historien et économiste italien Carlo Cipolla analysait ainsi les 5 lois fondamentales de la stupidité humaine.
Elles sont utiles pour faire la différence avec l’intention criminelle – Trump par exemple n’est ni pragmatique, ni stupide, c’est un idéologue criminel poursuivant un avantage personnel au détriment des autres – la bêtise maladroite, et les comportements désirés, neutres, intelligents, altruistes.
Ces cinq lois fondamentales cependant expliquent mal le phénomène de la stupidité collective, que Toynbee dans son histoire des civilisations assimilait à la tentation de la guerre.
Notons que dans l’ancien temps, l’idiot était imbécile, c’est à dire empêcher de se mouvoir librement, d’esprit ou de corps, et l’expérience de la vieillesse permet à toutes celles et ceux chanceux pour la vivre de comprendre exactement en quoi un empêchement de corps n’est pas forcément d’esprit.
L’idiot est donc dans un état de plus faible mobilité intellectuelle, c’est une stupidité légère.
L’idiot refera son idiotie avec un résultat désastreux, avec des chances cependant de se lasser, mais seul le stupide apportera une obstination tenace à la répétition des efforts. C’est le théorème de Rousseau : la stupidité est une constance.
C’est même le théorème vérifiée par l’expérience du quinquennat de Hollande : la stupidité est une opiniâtre obstination.
La stupidité a également une haute conscience d’elle-même.
C’est la cour de Troie refusant d’écouter Cassandre – mais c’est vrai qu’une malédiction rendait ses prophéties soit difficiles à comprendre soit impossible à croire – lorsqu’elle les implore de ne pas faire rentrer le cheval de bois des Grecs.
Cette notion de l’obstination en dépit des faits mêlée à l’intime conviction d’avoir raison est essentiel pour comprendre la suite.
Car si le triomphe de la stupidité est, comme on va le voir, inéluctable dans tous les domaines, c’est que la stupidité elle-même s’habille de beaux vêtements, ceux de la raison pragmatique.
Kant nous a livré une critique de la raison pratique, louons le pour cela.
Mais le fléau de l’humanité, c’est la raison stupide dissimulée sous la raison pragmatique.
La raison pragmatique est pourtant dans sa définition commune le contraire d’une idiotie : c’est la capacité d’agir en fonction des contraintes réelles, la raison vient à trouver le chemin d’action nécessaire à la réalité présente. Rien que de très sensé, mais ça se complique car les philosophes américains du pragmatisme introduisent la notion de « l’expérience » comme condition de l’établissement du réel. Or, l’expérience elle même est forcément une action, et si un philosophe ou un scientifique vivent dans un espace éthéré, la plupart des pragmatiques ont des intérêts dans l’expérience plus immédiats.
D’ailleurs, un philosophe français, Jacques Poulain, a consacré sa vie à la critique de la raison pragmatique, et je renvoie à ces œuvres pour une discussion au fond théorique du sujet.
Pour notre modeste part, n’étant philosophe, nous décrivons la raison pragmatique comme justement cette raison obstinée qui refuse la réalité des faits au nom de l’exception, s’obstine à répéter l’erreur, et, par un formidable retournement, critique ceux qui opposent la réalité des faits comme « de fieffés pessimistes sans esprit entrepreneurial (navette Challenger) », de « conformistes incapables de reconnaître la situation unique » (éditeurs de logiciels de bureautique), « d’idéalistes, voire d’idéologues, généralement sectaires » (adversaires de Bonaparte).
L’ingénieur qui souhaitait par précaution surseoir au tir de la navette Challenger n’était pas animé d’un « principe » c’est à dire une idée, mais connaissait les propriétés rétractiles du caoutchouc étanche et possédait une analyse même par basse température, lorsque le « pragmatique » écartait les faits contraires à son souhait, dans ce cas garantir un tir dans une compétition commerciale et technologique pour les budgets publics.
C’est ainsi : le triomphe de la stupidité est aussi inéluctable car la raison pragmatique refaçonne les faits à son idéal, pour plonger en état de stupeur les mécanismes de survie des organisations sociales et des individus, et imposer ainsi ses finalités, toujours particulières et éloignées, par un processus qui devra être décrit, de l’objectif Commun de départ.
Un rapide exemple Politique : la quête sociale de la prospérité pour tous sera peu à peu supplantée par la recherche d’une croissance de plus de 1,5% et d’un taux de chômage en baisse. Qu’au passage la prospérité se concentre dans les mains de quelques uns, que les employés gagnent insuffisamment pour être au dessus du seuil de pauvreté, et que tout cela se fasse au détriment de la sécurité collective en détruisant les ressources naturelles et l’écosystème ne jouent aucun rôle, n’étant pas mesurés par les KPI qui comptent.
La satisfaction de données de performance, KPI en anglais, remplace la satisfaction du but initial.
Dans une organisation commerciale, on demandera aux commerciaux avec plus d’importance de faire un nombre de rendez-vous hebdomadaires clients, KPI mesurable facilement, plutôt que de remplir le carnet de commandes en contrats signés, le processus pour obtenir un contrat incluant des facteurs moins facilement mesurables et surtout non « actionnables » : confiance du client, satisfaction de la solution technique en regard du besoin, qualité de la relation personnelle, etc…
On verra donc des commerciaux multiplier les pauses café chez les clients, sans jamais cependant qu’un bon de commande soit discuté.
La critique de la raison pragmatique est elle-même bien … pragmatique car elle doit s’appuyer sur des expériences, c’est à dire l’analyse de faits et de données, tirées des quatre champs de l’expérience : la raison pragmatique des économistes politiques ou l’idiot utile, le triomphe de la stupidité politique, la raison pragmatique en Europe, et enfin raison stupide et entreprises.
Mathias Weidenberg
cropped-57fe260d-7c3f-43e5-8f19-f0a2e2299786