Débat des Européennes : mon analyse pour Causes Communes est toujours d’actualité
J’avais écrit ceci il y a 18 mois.
L’échec de la social-démocratie européenne
La promesse de rétablir l’emploi et de vaincre le chômage était avant tout, pour les classes populaires et moyennes, la promesse de partager la prospérité collectivement produites. L’échec historique de la social-démocratie, c’est d’avoir supprimé le lien entre emploi et prospérité, réduisant le chômage en appauvrissant les classes populaires et moyennes. Ce mensonge est tellement criminel qu’une partie de la social-démocratie se réfugie dans une utopie charitable en poussant un revenu minimum comme outil de lutte contre la pauvreté, refusant de penser les rapports de force et les conditions d’un partage réel des richesses dans l’économie, se condamnant à observer de l’extérieur le jeu des acteurs, et dés lors, abandonnant avant d’essayer toute tentative d’éco socialisme.
Un écosocialisme ne posant pas les questions des rapports de force avec les propriétaires des entreprises pollueuses est aussi absurde qu’une social-démocratie proposant le revenu universel pour ne pas avoir à parler syndicalisme, salaires, partage des fruits de la productivité, accumulation du capital et rapports de force.
C’est le double danger de la social-démocratie : la dérive conservatrice, et l’illusion idéaliste.
Pour contrer ces risques, il n’y a qu’un seul moyen : regarder le monde tel qu’il est, reprendre le chemin des études scientifiques.
Emploi, Temps de travail et pauvreté
D’après une étude du Handelsblatt de décembre 2016, la baisse du chômage en Allemagne s’est accompagnée du passage de la durée moyenne de travail de 41h en 2000 à 35,2 h en 2015. Les salaries en temps complet en CDI ont vu leur temps de travail … stable à 41h effectives. Mais il y a explosion du temps partiel – en moyenne 19h par semaine. Le total d’heures travaillées entre 1991 et 2016 a … baissé de 69 milliards à 66 milliards.
Vu que l’Allemagne produit plus et vend la moitié de sa production à l’extérieur du pays, cela signifie que deux facteurs expliquent le plein emploi allemand et sa compétitivité :
- Les gains de productivité ;
- La réduction du temps de travail, corollaire à la baisse du niveau de vie des travailleurs modestes.
Le problème social de cette réduction du temps de travail, c’est qu’elle s’est accompagnée d’une réduction des salaires réels et d’un appauvrissement des 40% d’allemands les plus modestes, ceux ci travaillant majoritairement à des temps partiels contraints. Essayez donc de vivre avec le salaire de 19h hebdomadaire.
Aujourd’hui, avec 4% de chômage, l’Allemagne a deux fois plus de pauvres qu’en 1998, à la veille de l’alternance social-démocrate, avec 9% de chômage. La victoire de la bataille de l’emploi est une défaite morale et philosophique de la social-démocratie allemande, poussant les classes populaires à voter pour l’extrême-droite.
Cette évolution cependant n’est pas due à une erreur de mise en œuvre de mesures nécessitant une correction, mais est bien consubstantielle au système économique et institutionnel de l’Union Européenne.
En 2013, l’appel social-démocrate et écologiste à une autre Europe, initié par la gauche autrichienne, repris par le syndicalisme allemand, les Linke, l’aile gauche du SPD, ATTAC, les économistes atterrés, l’aile gauche du PS et les italiens du SEL cherchait à définir une perspective alternative à l’appauvrissement des classes populaires et moyennes. Cet appel fut un échec, car aucune de ces composantes n’étaient associées aux directions de leurs partis réciproques. Cet appel ne pesa sur rien.
- Hollande a emmené en France le gouvernement sur une ligne d’austérité régulée, et le PS, après la convention Europe dont il n’a pas voulu reconnaître les résultats, s’est enfoncé dans le caporalisme, étouffant les débats de fond, refusant d’être un des forums nécessaires de construction des consensus. Aujourd’hui, le PS est dans l’état du PASOK. Mêmes causes, mêmes effets.
- Depuis, le SPÖ a ostracisé la députée de ses rangs qui avait signé l’appel, le SPÖ a perdu le pouvoir, et c’est une coalition droite-extrême droite qui domine.
- Depuis, le SPD est revenu au pouvoir comme allié supplétif de la droite, et en a repayé le prix, en perdant des régions bastions comme la Rhénanie du Nord, avant d’obtenir son pire score depuis 1949, laissant l’extrême droite revenir au Bundestag pour la première fois depuis 1953, avec 12,6% des suffrages, majoritairement les classes au revenu le plus faible d’Allemagne, et 94 députés. Le SPD a perdu entre 1998 et 2017 plus de la moitié de ses électeurs, passant de 42 à 20%. Sa structure de revenu est équivalent à celle des électeurs … des conservateurs chrétiens-démocrates.
C’est bien une ligne politique inadaptée au monde d’après la crise financière qui emporte la social-démocratie européenne en son tombeau, ligne politique qui peut-être, en période d’abondance, donnait l’illusion de pouvoir redistribuer, mais qui en période post-2008 sous évalue la violence du rapport de force social, et l’aggravation dramatique des inégalités, créant un cercle vicieux de paupérisation.
Le PS n’est pas à 6% seulement à cause du bilan Vallso-hollandiste, dont la Cour des comptes a déjà évacué le mythe d’une “restauration des comptes publics”, ne leur laissant rien à défendre, ni à cause de la “fronde”, née de la prescience que la ligne choisie dans le secret des bureaux dorés n’allait mener à rien de bon, ni de la stratégie opportuniste d’un ambitieux narcissique, Macron, incarnant le renouveau politique du MRP, ni de la tactique de terre brûlée de Mélenchon au lendemain de la présidentielle. Tout cela c’est l’écume des jeux tactiques, important pour les biographies individuelles, mais pas pour les tendances au long terme des organisations et des idées.
Là où le syndicalisme est fortement uni à l’expression politique de la gauche, la ligne anti-austéritaire l’emporte et à gauche, et dans les urnes, c’est la Grande Bretagne, le Portugal. Là où historiquement contestation sociale, défense des droits, et partis politiques se sont éloignés, la social-démocratie s’effondre, c’est la France, l’Allemagne.
De la crise qui vient
De 1998 à 2015, le taux des ménages propriétaires de leur résidence principale est stable : 60% environ des Français possèdent leur logement. Le taux de Français propriétaires d’un second logement, résidence secondaire ou investissement locatif, est également stable à 18% sur la période. Le taux de croissance de la population mis en regard avec le taux de mise en chantier des logements ne permet pas de déceler là non plus un écart tel que l’offre soit peu abondante.
Pourtant, dans toutes les régions de France, la période a vu, surtout à partir de la crise financière, une explosion des prix de l’immobilier. On assiste depuis un an à un ralentissement de la hausse des prix, voire à un plafonnement et une légère décrue.
Cette crise menace encore plus fortement l’Allemagne. La plupart des grandes villes ont tenté de réglementer la hausse des loyers, de limiter ou interdire les locations à court terme, face à une flambée des prix depuis 2009. L’Allemagne n’est pas un pays de propriétaires mais de locataires. Pourtant, le marché immobilier à la vente a aussi explosé, les prix berlinois, historiquement et traditionnellement bas, dans une ville à la surabondance de logements encore jusqu’à il y a 10 ans, fait l’objet d’une véritable spéculation immobilière. Le coût du mètre carré à l’achat a été multiplié par 4 en dix ans, celui du loyer, malgré tous les mécanismes d’encadrement, doublé sur la période.
Si l’on corrèle cette évolution avec les flux financiers depuis la crise, on constate alors à quel point la surabondance de liquidités en Europe, dû à la combinaison d’une politique monétaire expansionniste et d’une politique budgétaire austéritaire, c’est à dire sans investissements publics financés par les réserves de liquidité privées – que ce soit par l’emprunt ou l’impôt – entraîne une spéculation immobilière inouïe, notamment dans son cœur germano-hollando-danois mais aussi dans les pays périphériques attractifs pour les investisseurs de ces pays.
La crise financière de 2007 naquit d’une crise de surchauffe immobilière aux Etats-Unis.
Jamais autant de liquidités et de capitaux n’étaient disponibles au cœur de l’Europe pour une politique active d’investissements majeurs. Jamais une doctrine économique plus stupide n’a dominé, obligeant, au nom d’un pragmatisme européen, ces capitaux à alimenter des spéculations et des bulles financières.
Par l’emprunt ou par l’impôt, l’Allemagne pourrait sans douleur investir 200 à 300 milliards par an. Cela contribuerai, sans diminuer le volume de ses exportations, à augmenter celui de ses importations pour réduire son excédent. La croissance due à la demande intérieure ferait plus que compenser une éventuelle dégradation marginale du volume des exportations. Sans douleur non plus, par la mutualisation des dettes publiques ou par le mise en place, sur le modèle fédéral de financement des régions allemandes, il serait possible de transférer entre cœur et périphérie 100 à 150 milliards par an, tout en rendant toute spéculation financière sur le spreadentre États de la zone Euro vaine.
Tout cela n’a pas lieu par idéologie. Ce n’est pas le pragmatisme qui règne, c’est le sectarisme idéologique, qui voit une petite catégorie de gens instrumentaliser le pouvoir politique pour défendre leurs intérêts, au delà des Nations et des partis.
L’idée européenne est un leurre
En septembre 2017, dans une campagne atone, dans l’indifférence, pourrait-on dire, alors que la moitié des allemands ne savaient pas encore pour qui voter, a eu lieu l’unique débat entre Martin Schulz (SPD) et Angela Merkel (Union). Ce débat est dans son unicité et sa composition bien peu démocratique – les deux partis sont en effet les sortants au gouvernement, l’opposition parlementaire (Verts, Linken) n’étaient pas représentés. Car c’est là que s’est effondré la conscience démocratique en Allemagne : le débat démocratique ne peut qu’opposer les deux partis au pouvoir.
Schulz avait été investi en janvier sur le mot d’ordre “Justice sociale”, critiquant légèrement les réformes de l’ère Schröder, voulant apparaître comme le porte parole de la crise sociale, n’excluant pas une Alliance avec les deux partis de gauche pour gouverner. Très rapidement, Sigmar Gabriel et tout l’appareil pro-Schröder, dont Schulz est également issu, ont repris en main tout cela. La popularité de Schulz s’est effondré au fur et à mesure de la révélation de sa conformité à la doctrine “progressiste conservatrice” de la social démocratie européenne. Il a substitué dans le débat l’engagement européen à la justice sociale. Au lieu de réaliser les 33% promis par le début de sa campagne, seulement 20,6% des votants lui ont fait confiance.
Ce leurre est cependant européen. Pierre Dardot et Christian Laval ont bien analysé la substitution des questions sociales et structurelles par l’idée européenne pour la gauche française, une idée européenne cheval de Troie du néolibéralisme.
Cette doctrine a mené dans tous les pays de sa mise en œuvre à une progression de la pauvreté depuis la fin des années 1990, avec ou sans chômage, avec ou sans crise économique, une dégradation des finances publiques et des services publics, des sociétés de plus en plus inégalitaires, aux médias de plus en plus concentrés, des syndicats de plus en plus faibles, et finalement, l’augmentation des National-populistes. Par ailleurs, la,constance dans cette voie doctrinale a éliminé la social-démocratie européenne. En Grèce, en France, aux Pays-Bas, en Autriche, où l’élection présidentielle vit le duel entre un écologiste libertaire et un allié du Front National, où les élections en octobre ont donné une Coalition du parti d’extrême-droite avec les conservateurs.
Le SPD allemand est ainsi passé d’une moyenne de long terme de 38% des voix à trois scores sous 25% depuis la chute de Schröder. Il résiste encore de justesse à ce socle de 20%. Mais son électorat comme ses cadres vieillissent inexorablement, sans relève. Le parti qui l’emporte, c’est celui de l’apathie, de l’indifférence. C’est le moment où dans toutes les démocraties se constitue le terreau d’aventures césaristes individualistes.
Ainsi, dans toutes les démocraties européennes où la gauche s’effondre, où les enjeux de classes, d’égalité, de débats conflictuels nécessaires à la vie démocratique s’effacent devant une harmonie souvent hégémonique, totalitaire, d’une classe et ses modes de vie sur toutes les autres, mettant au service d’elle-même toutes les énergies nationales et globales, naissent des projets individuels, reflets des contradictions à l’intérieur de cette classe hégémonique. Ce sont ces milliardaires qui s’invitent dans des partis ou créent leurs partis, on a l’exemple le plus illustre aux États-Unis, mais c’est aussi le cas dans de nombreux pays de l’Est, en Autriche, au Pays-Bas. Le précurseur était italien.
On le constate : les gauches en miettes par l’irresponsabilité de 25 ans de progressisme libéral substituée à la social-démocratie succombent également à ces tentations césaristes.
Le mouvement de Grillo en Italie, celui de Mélenchon en France construisent bien sûr des plateformes populaires, mais construites sur des personnes, impensables sans ces personnes, et, par leur refus absolu de toutes alliances, de toute reconstruction d’un espace, cherchant à se substituer à tout ce qui pourrait exister à gauche, abandonnent en réalité la lutte idéologique, et prennent le raccourci du Tribun du Peuple.
C’est ainsi que César renversa la République
Il est nécessite de rappeler que Jules César, aristocrate pauvre, naquit et grandit dans une de ces banlieues populaires de Rome correspondant chez nous aux barres HLM des classes ouvrières, sa famille soutenait les Populares, il s’appuya, depuis sa carrière militaire, sur ce “parti” contre les aristocraties d’argent, notamment le financier Marius. Sa popularité parmi les militaires était non lié à la “Gloire” mais à deux promesses essentielles : la victoire sur le champ de bataille promet 1. la survie, et, plus important, 2. le butin.
L’importance du butin fut illustrée notamment par le massacre des légions de Varus, les légions post-césaristes, dans une forêt allemande. Ces légions perdirent deux jours à pousser un lourd butin, avec des chariots et des cohortes de futurs esclaves, et le moral des légions s’effondra lorsqu’il leur fallut abandonner le convoi, où se trouvaient aussi esclaves personnels depuis des années, concubines, épouses, aux assauts des cavaliers germains, rendant la tentative de Varus de percer les lignes germaines vaines, et le conduisant, la veille du massacre de ses troupes, dans un camp romain sans nourriture, à se suicider. Le butin était la mission, et la troupe mourut lorsqu’il fallut abandonner le butin.
Bonaparte le premier était pauvre, Robespierriste, et conquit par la gloire militaire, c’est à dire le pillage de l’Europe, de quoi acheter la paix sociale en France, et Bonaparte le second, riche, mais dispendieux, construisit par des traités contre la pauvreté et le rétablissement du suffrage universel – que les républicains avaient limité aux bourgeois, excluant ouvriers et travailleurs agricoles – une assise populaire indispensable, et le pillage de l’Algérie pour s’acheter une paix sociale.
Grillo et Mélenchon n’ont ni la promesse clientéliste de fortunes personnelles ni celles de la gloire militaire et du butin associé – leur entreprise suffit à dominer l’opposition, non à prendre le pouvoir.
Macron, lui, unit richesse des soutiens, charisme, et volonté politique de domination. Il n’est qu’une variante de plus du césarisme vainqueur, avec Orban, Trump, Erdogan, Poutine, etc…
L’espoir naît d’une rupture
Les social-démocraties qui ont rompu avec le progressisme centriste des années Clinton résistent mieux – et ce n’est pas un hasard si Hillary subit la défaite la plus humiliante et la plus dramatique pour le monde de toute cette famille idéologique, face à un fou d’extrême droite. Elles ont du réinventer et la manière de faire et celle de dire le Politique, accepter l’affrontement idéologique frontal en interne et en externe.
C’est le Labour, avec Corbyn, qui a privé, dans l’élection de 2017, les conservateurs de leur majorité, et caracole depuis en tête de tous les sondages. C’est le PSOE de Sanchez qui accepte d’être unitaire pour deux vers Podemos-UI, qui survit au putsch des progressistes conservateurs autour de Zapatero, partisans de l’alliance avec la droite de Rajoy, et construit une alternative à l’hégémonie sociale et Politique des 30% les plus riches. C’est la social-démocratie portugaise, qui reprends le pouvoir en Coalition avec les communistes, et démontre que d’autres politiques que celles inspirées par la Troïka donnent de meilleurs résultats.
“Comment la classe moyenne s’escroque elle-même !” ou la bêtise de Terra Nova
Un article de l’automne 2017 dans le Spiegel parlait de la Stupidité de la classe moyenne, qui s’entête à vouloir s’allier aux plus riches pour éviter le chemin difficile des alliances avec les classes populaires, alors que toutes les études montrent que les classes les plus riches s’enrichissent en Allemagne au dépens des classes moyennes. Cet article a comme titre : “Comment la classe moyenne s’escroque elle-même !” L’article explique l’imbécilité de la constance avec laquelle la classe moyenne refuse l’alliance électorale avec les classes pauvres pour s’associer avec la classe la plus riche, celle-ci s’enrichissant, toutes les études statistiques le démontre sur les 15 dernières années en Allemagne, au dépens … des classes moyennes.
C’est l’extrême stupidité de la stratégie Terra Nova, l’idiotie totale de la populaire aventure marchiste, l’incroyable bêtise dans laquelle se complaît le SPD – et avec, l’ensemble de la social-démocratie européenne – que de croire que la modernité démocrate serait de se couper des classes populaires. Car sans les classes populaires ne restent plus que les milliardaires, dont un spécimen au pouvoir s’appelle Trump. Que celui-ci ait d’ailleurs séduit des classes populaires abandonnées par les classes moyennes est au cœur même de la conséquence logique de cette stupidité des classes moyennes.
Pendant ce temps, les 10% se sont enrichis plus rapidement que la croissance, deux fois plus vite que les classes moyennes, dont la moitié stagne à la baisse et l’autre en très légère hausse…
Le rapport Piketty de décembre 2017 ne fait que confirmer ce que toutes les études scientifiques démontrent. Tant que la question sociale ne sera pas au cœur des préoccupations politiques et idéologiques, tant que la question sociale ne sera pas la clé électorale, la démocratie dépérira. Elle est condamnée à terme.
La victoire du populisme de l’ultracentre avec Macron n’est qu’une manifestation de plus de ce phénomène mortel pour la démocratie. Que sa première réforme d’importance ait été construite par des ordonnances, en marge du Parlement, l’illustre encore !
La démocratie est abîmée, violée, remise en cause par de telles aventures cesaristes, autant celles de Trump comme celles de Berlusconi, celles de Stronach, de Strache, comme celles du Jobbik.
Les partis de l’ultracentre qui résistent à la pression idéologique du questionnement social rêvent d’un monde sans Peuple, sans pauvres. En Marche, Neos, Ciudadenos, rêvent de société harmonieuses où les intérêts du grand nombre, divisé entre nationalisme et Révolution, ne jouent aucun rôle, le bien public étant assimilé à leur propre bien-être de bourgeoisie heureuse. En fin de compte, ce n’est pas l’harmonie, c’est les guerres qui nous attendent. Car la radicalité de la souffrance sociale se traduit dans la radicalité de la réaction politique.
A de bonnes âmes, favorables à la “modération” comme définition – fallacieuse – du raisonnable ou du pragmatisme – qui expliquaient l’impossibilité des succès des populistes nationalistes à la Trump “car le citoyen ne votera pas contre ses propres intérêts“, rappelons que les citoyens qui souffrent depuis 10 ans, qui ont perdu tout espoir pour eux-mêmes, ne votent pas pour leur intérêt – que d’ailleurs les classes moyennes ne veulent plus défendre, que la social-démocratie décadente du progressisme démocrate a si souvent trahi, sous Clinton et Obama, sous Hollande, sous Schröder, Steinmeier ou Gabriel, sous Faymann ou Dijsselbloem, même sous Tsipras – mais pour faire tomber les classes moyennes dans le trou où ils se trouvent. “Ah pour moi il n’y a plus d’espoir, mais toi, qui confonds la bataille du mariage pour tous avec la question sociale, alors que moi, pauvre, peu importe mon identité sexuelle, mon problème c’est avoir un toit ou manger, ma vie privée n’existe plus, subordonnée à ma lutte pour subsister, toi je vais te faire souffrir, c’est ton tour de désespérer, alors je vote pour ton pire cauchemar, que peut donc me prendre encore Trump, alors que je n’ai déjà plus rien ?” Et voilà comment la pire candidate démocrate possible perdit contre un pitre narcissique psychopathe d’extrême droite.
Le déclin de la social-démocratie
En 1997, le PS réussissait une alliance des gauches “plurielles” pour emporter à gauche les législatives anticipées. Si le PS avec 23,5% des voix emportait l‘essentiel des sièges de députés de cette alliance électorale – 250 sièges sur un total de 312 à gauche – il ne représentait seul que la moitié des voix à gauche – 46% des Français.
En 2012, le vote de gauche représentait encore 46% des électeurs. Mais, avant même l’exercice du pouvoir, elle était divisée, les 7% du Front de Gauche se situant dans l’opposition. Au cours du quinquennat, le groupe SRC passa de 302 députés à moins de 289 et dut, pour conserver la majorité absolue, diviser le groupe écologiste pour en absorber 7 anciens membres. En 2017, le Parti Socialiste, isolé, ayant non seulement perdu tous ses alliés dans l’exercice du pouvoir mais également s’étant divisé avec son aile droite rejoignant le parti libéral de Macron, fait 7,4% des voix aux législatives, derrière la France Insoumise, devenant une composante minoritaire – un gros quart à peine – du total des voix de gauche (25% des voix). La moitié des électeurs de gauche de 2012 se sont abstenus.
En 1998, le SPD dirigé par un duo, Schröder candidat à la chancellerie et Lafontaine président du parti, et annonçant une Coalition avec les Verts, remporte 41% des voix. Leurs alliés verts sont à 6%, la victoire idéologique des sujets propres aux gauches entraîne également un score à plus de 5% du PDS, parti des communistes de l’ex-RDA et à l’époque présents uniquement dans les nouveaux Länder. La gauche pèse donc 52% des voix.
6 mois plus tard, Lafontaine démissionne, ne pouvant mettre en place la relance keynésienne qu‘il avait conçu et présenté dans la campagne. A l’époque, Schröder et les Verts, qui voulaient baisser le taux d‘imposition des plus riches, tentaient d‘utiliser des sujets sociétaux pour éloigner l‘attention des questions économiques et sociales. Cela leur valut dès février 99 une défaite aux régionales de Hesse.
En 2017, le SPD mené par un aréopage schröderien (Schulz, Gabriel, Heil, Maschnig, etc…) réalise la moitié du score de 1998 – 20,5%. Le total des gauches est de 39%. Avec les 12,5% de l’extrême-droite qui est revenu en Allemagne au Bundestag après 64 ans d’absence, on retrouve les 51% de 1998.
Les deux partis sont donc à la fin d‘un cycle où les pragmatiques progressistes, qu‘ils se définissent, dans un égocentrisme franco-francais de première ou deuxième gauche, voire de rocardiens de droite ou de gauche, ou, dans les ailes allemandes, de Seeheimer et de Netzwerker, les auront mené dans des crises existentielles. Dans les deux cas, l’extrême droite, qualifiée au second tour de la présidentielle en 2002 comme en 2017 après leur exercice du pouvoir, de retour au Bundestag en 2017, et la gauche radicale, auront progressé.
En France, LFI, le PCF et les trotskystes font ensemble deux fois plus de voix que le PS.
En Allemagne, les Linke à presque 10% ont doublé leur score de 1998. Linke et Verts sont quasiment à égalité avec le SPD. Linke et AfD font ensemble plus de voix que le SPD.
Pourtant, dans les deux partis les pragmatiques progressistes maintiennent de toute leur force leur pouvoir sur les appareils. Le PS déjà affaibli exclue à la pelle les élus issues de son aile gauche. Les majoritaires seraient décidés à un congrès d‘exclusion des “frondeurs qui nous ont empêché de gouverner“. Le SPD veut remplacer des ailes droites par des ailes droites. Le débat est étouffé avant même de commencer. Il pourrait même repartir dans une coalition avec la droite pourtant très affaiblie autour de Merkel.
Partout où on regarde, les partis social-démocrates, majoritaires en Europe en 1998, montrent le même visage.
Aux Pays-Bas du sinistre Djisselbloem, le Pdva social-démocrate est passé de 24 à 5% des voix, loin derrière le Parti socialiste – apparenté Gauche Européenne avec le FdG ou les Linke – à 9,5%. En Grèce, le Pasok est passé de 42% en 2009 à 4,7% en 2015. En Irlande, le Labour passe de 19,6% en 2011 à … 6,6% en 2016. En Norvège, où les jeunes travaillistes ont perdu plus de 70 des leurs à la frénésie meurtrière d’un néofasciste en 2011, le parti travailliste passe de 35,4% en 2009 à 27% en 2017, avec une Coalition des droites majoritaires depuis 2013.
Pour une renaissance idéologique, relisons
Libération a publié un entretien de Joffrin et Badiou mis en scène comme le dialogue du social-démocrate épris de liberté contre le communiste bien peu économe en drames humains pour parvenir à une société juste, et ce, au moment où toutes les conquêtes réformistes des 150 dernières années sont sapées et annulées. Et ce, sans regard critique sur tous les drames humains inhérents au capitalisme, et ce, sans avoir la moindre idée de comment éviter la crise écologique, Joffrin opposant sur ce point à Badiou comme seule idée que le capitalisme consommerai le capital naturel un peu moins rapidement que ne le fit les régimes communistes productivistes…
Le débat est ancien, il est entièrement exposé dans ses principes par un livre de Rosa Luxemburg, écrit bien avant la révolution bolchévique de 1917. Le socialiste Bernstein avait donné un fondement théorique au réformisme, en expliquant le caractère pérenne du capitalisme grâce à des facteurs d’adaptation empêchant en fin de compte son effondrement dans une crise générale. L’un de ces facteurs, qui expliquaient une période de près de 20 ans sans crise, c’était le développement du crédit, ce que nous appelons “la financiarisation de l‘économie”.
Luxemburg oppose à cette idée l’existence de crises graves, profondes, ébranlant le capitalisme, comme la crise de 1907, qui historiquement, est d’ampleur analogue à celles de 1929 ou 2007. Elle argumente que c’est justement l’exposition aux marchés financiers qui fragilise l’ensemble du système. Elle évoque le risque de contradictions économiques aboutissant à la guerre.
7 ans plus tard éclatait la première guerre mondiale. La révolution bolchévique est une conséquence de cette guerre de Nations souveraines. S’il fallut attendre dix ans avant de voir la seconde guerre mondiale “résoudre” des contradictions nées dans la crise de 1929, personnes ne peut contester que le monde en 2017 est instable.
Bernstein exposait en 1899 pour défendre le réformisme opportuniste des concepts très proches de ceux de “la fin de l‘histoire” presque un siècle plus tard. L’illusion d’une période d’expansion et de relatifs progrès, accompagnés de concessions sociales, donnait l’illusion d’une sécurité matérielle et d’une liberté relative dans une prospérité équitablement partagée. Pourtant, la crise de 1907 allait aboutir à la mort de millions de pauvres et riches gens.
De même, il semble pour Joffrin que le monde soit un espace harmonieux où des individus conscients du bien commun prennent les meilleures décisions par une démarche de consensus où il suffit que de bonnes âmes conscientes des questions sociales soient présentes pour que l’équilibre soit garanti.
Les rapports de force sont nécessaires
Il ne comprend pas que la disparition des rapports de force – c’est à dire la défaite politique et sociale des alliances populaires et classes moyennes – permet à un ordre des choses de se rétablir.
C’est parce que la monarchie de Juillet craignait autant la Terreur que Bonaparte qu’elle vota la première loi du travail, sans cependant vraiment se soucier de son application réelle. C’est pour contenir la montée du SPD que Bismarck vota les premières lois sociales. C’est pour contenir la poussée des gauches que Laval, au milieu d’une politique économique « de compétitivité » déflationniste, mis en place au début des années 1930 des caisses d’assurance sociale. C’est parce que l’URSS était si forte, après avoir été l’alliée indispensable pour défaire le nazisme et le militarisme japonais, que la moitié de l’Europe lui fut donnée en récompense – le marchandage des peuples et la résolution des questions non résolues par la négociation par la guerre civile reste un grand moment des démocraties libérales – et l’autre moitié comprit la nécessité, y compris dans les droites de l’époque, de dompter le capitalisme et de le réformer. C’est le programme du CNR, c’est l’économie sociale de marché en Allemagne.
La révolution néolibérale de la fin des années 1970 s’inscrit dans une crise financière qui voit l’abandon de toute référence à une valeur réelle dans la définition de la monnaie : c’est la conséquence de l’endettement considérable des États-Unis face à ses dépenses de guerre, la guerre du Vietnam étant perdue financièrement avant de l’être politiquement, et ses déficits extérieurs, avec deux nations peu expansionnistes dans leurs investissements responsables d’un déséquilibre mondial des échanges, l’Allemagne et le Japon. En même temps, la crise du pétrole, provoquée par une crise politique, le refus par Israël de reconnaître la légitimité du peuple palestinien à exister, et le refus des États arabes à l’existence d’Israël, les deux questions étant en réalité une, révélait une autre source de dérèglements des échanges financiers globaux.
La résolution de cette crise fut l’opportune expansion à l’Est avec l’effondrement du soviètisme.
[Notons que l’effondrement du régime des soviets et donc de l’expérience communiste était selon Luxemburg, dès 1918, inéluctable, l’erreur fondamentale de Lénine et Trotsky ayant été de mettre fin à l’assemblée parlementaire constitutionnelle, c’est à dire à l’espace d’expression des libertés politiques, pour un régime de fonctionnaires autoproclamés, et donc corruptibles. Luxemburg ne croyait pas au réformisme, mais, passionnément démocrate, elle ne voulait pas de cette dictature totalitaire des léninistes.]
La crise du crédit prenait son envol : crise de 1973, crise de 1979, crise des banques et du crédit immobilier américain de 1987, crise spéculative contre le SME en 92 et 93, crise mexicaine de 93, crise financière asiatique de 1997, éclatement de la bulle internet et krach boursier de 2000-2001, crise financière et Grande Dépression en 2007-2009 suivi de l’attaque spéculative sur les dettes européennes en 2010 et la petite récession européenne de 2011-2014.
Pour un réformisme radical
Tous les économistes prédisent une nouvelle crise financière dans les 18 mois. Ces conséquences seraient catastrophiques pour l’Humanité. Elles enterreraient définitivement la Cop 21, la cooperation internationale, la paix mondiale. Une nouvelle crise aujourd’hui mènera à la guerre entre grandes puissances.
C’est pourquoi le réformisme doit être radical et dans ses propositions d’action et audacieux dans ses alliances. Il ne s’agit pas de définir des catalogues d’outils mais de dire les dangers structurels, systémiques, et de définir les valeurs sur lesquelles nous souhaitons construire la réforme du système.
Egalité & Liberté ne sont pas contradictoires. Seul un bourgeois soucieux de la domination de sa classe comme Tocqueville peut penser une telle contradiction. La Liberté ne peut exister dans l’aliénation de certains par d’autres. C’est parce que tous nous sommes égaux que chacun peut être libre.
Il ne peut donc y avoir des « premiers de cordée ». Il y a beaucoup trop de riches privilégiés exempts de corvée commune. L’appropriation des ressources naturelles est un crime contre l’égalité et la liberté, donc contre l’Humanité. Le réformisme est donc forcément un anticapitalisme.
mais alors pourquoi tu milites au SPD ? pour le plomber de l interieur ou juste pour avoir des infos plus pertinentes sur la decheance de ce parti ?
Je l’étais encore il y a 18 mois. Je ne le suis plus et votera sans doute Linke aux Européennes.