La bataille de l’école publique

avril 3, 2024 0 Par Mathias Weidenberg

Je n’ai pas pardonné à un député du Nord sa victimisation et implicitement, sa mise en accusation de la victime de sa propre violence.
Il m’avait séduit, en 2018, par un discours très républicain.
Quel ne fut pas mon effarement de le voir, cette semaine, défendre un lycée privé, qui, menacé de perdre sa convention avec l’état, sera repris par la conférence des évêques. Quattenens est devenu l’allié des amis du collège Stanislas par électoralisme.

Alors qu’un rapport parlementaire sort hier dénonçant l’opacité du financement de l’enseignement privé, 11 milliards par an où l’Etat organise et favorise sa concurrence !
Le rapport est signé d’un député insoumis et un député macroniste: lire l’article de Mediapart

https://www.mediapart.fr/journal/france/020424/derives-de-l-ecole-privee-un-rapport-parlementaire-met-la-pression-sur-belloubet

Voilà 11 Milliards à couper de suite, ce qui aidera monsieur Le Maire à boucler son budget que son ancien ministre en charge, monsieur Attal, avait si mal préparé en 2023.


Mais il y a ici plus profond que ma relation à Quattenens, alors que chaque jour LFI s’enfonce dans un militantisme sectaire malheureusement, après avoir puni et mis au pas ses frondeurs, qui le condamne à redevenir marginal.

Je défends depuis quelques années déjà l’idée que le vrai tournant du premier septennat de Mitterrand, ce n’est pas celui de la rigueur : idéologiquement, il est encore présenté comme cohérent avec le social réformisme, avec la continuité avec « la pause des réformes » de Léon Blum. On pense faire une pause, et une fois la conjoncture stabilisée, le commerce extérieur équilibré – il le sera en 1984 lorsque Macron fait 100 milliards de déficit commercial 40 ans plus tard sans espoir d’amélioration ! – on reprendra les réformes sociales.
Les communistes ne partent pas d’ailleurs en 1983.


C’est en 1984 que nous perdons la plus importante bataille idéologique du septennat : la bataille sur l’école privée et la laïcité.


Car l’école publique, la laïcité et même un fonds anticlérical, était le plus petit commun dénominateur de toutes les gauches. Les radicaux sociaux étaient certainement orthodoxes en économie, mais allaient dans les coalitions, en 36, 45-46 et 81, tolérant les communistes, parce qu’il y avait la même base idéologique quant à l’école, la laïcité militante, le fonds antireligieux.
La chute du gouvernement Mauroy, lui-même n’étant pas le plus à gauche au PS, et son remplacement par un jeune technocrate imbu de social-neoliberalisme, Fabius, fait partir le PCF et les « laicards ».
Ce n’est pas un hasard si cette défaite face à une mobilisation surtout venue de la droite catholique mets la gauche en doute au moment de 1989.
Et le délire des « gauches irréconciliables » ne peut pas s’expliquer par la renaissance du vieux fond anticommuniste – qui fut le principal obstacle à ce que Pierre Mendès France soit plus qu’une figure tutélaire symbolique.
La disparition de ce dénominateur commun explique bien mieux nos difficultés dans un pays très politique et peu cultivé en économie que « le tournant de la rigueur ».
La gauche plurielle de 1997-2002 d’ailleurs a pu mener de grandes réformes sociales et économiques, jusqu’à ce que (encore lui) Fabius récupère Bercy. Mais le PS ayant abandonné l’école publique sous Jack Lang, et trouvé l’Europe comme idéologie de remplacement, n’avait plus pour unir son aile droite et son aile gauche la communion dans la défense de l’école publique laïque.

Structurellement, la conversion au social-neoliberalisme du PS, achevée sous Hollande et dont Macron a profité, est la plus importante.
Mais culturellement et politiquement, c’est la défaite de 1984 qui sape les fondements de la gauche républicaine telle qu’elle a pu s’allier, pas toujours facilement, et parfois sans que cela suffise, de 1790 à 1981.

Malheureusement, LFI est parti dans un délire communautariste par électoralisme tournant le dos à son républicanisme de 2017-2019, à ses liens revendiqués avec la Révolution et les Lumières.
Ils tournent le dos, depuis l’expulsion de Henri Peña Ruiz de leurs rangs, au dénominateur commun de tous les rassemblements à gauche.

La liste que je soutiens aux Européennes n’est pas tombée dans cette paralysie intellectuelle du parti socialiste en Europe et face au nouveau capitalisme.
Elle rassemble, c’est ironique, les mouvements qui ont construit la coalition de 1981 : des socialistes se revendiquant héritiers du Cérès de Chevènement comme du Poperenisme, des radicaux de gauche qui n’ont jamais regardé Macron comme progressiste, sentant déjà qu’il favoriserait l’enseignement confessionnel par esprit de classe et manque de patriotisme, des syndicalistes et des communistes.

Alors, en grandissant ce qui les rends particuliers, les socialistes avec l’Europe et le discours moral de Glucksman, les insoumis avec l’intersectionnalisme leur faisant chanter les louanges de Poutine et du Hamas, peuvent espérer un meilleur score que notre rassemblement.

Mais ils ne peuvent pas se rassembler. Ces succès sont stériles si on ne retrouve pas un dénominateur commun potentiellement majoritaire.

En 1981, les écologistes étaient libertaires, c’est a dire anti État, et plus fréquemment à droite qu’à gauche, leur discours antimoderniste convenant à un conservatisme naturaliste. Mitterrand pourtant avait pris déjà des écologistes au gouvernement.
Mais c’est par la critique d’un capitalisme destructeur du vivant que les écologistes sont venus à la gauche, et pas tous.
Waechter a donné Corinne Lepage et les écologistes centristes. Eux serons toujours méfiants de l’Etat.
Par libertarisme, les écologistes se méfient de la laïcité et du coup défendent mal l’école publique.
C’est un défi intellectuel majeur de faire comprendre qu’une transformation écologique ne sera pas possible sans État, et sans progrès pour les classes nombreuses. Les bijouteries moralisantes ne ferons pas une majorité.

Mais il y a un fonds commun majoritaire en France. Il faut le réactiver.
Et même si le rassemblement de la Gauche Unie est encore marginal électoralement, je suis convaincu qu’il est le seul capable de nous donner les armes pour battre le RN.

L’idée de la Révolution, c’est de secouer du dos du peuple français les religieux et les grands propriétaires