Face à l’incompétence économique et budgétaire des néolibéraux, reprenons la main

mars 30, 2024 0 Par Mathias Weidenberg
Mon article repris et édité par Frédéric Faravel pour la Gauche Républicaine et Socialiste avec toutes les iconographies (visitez c’est plus complet que cette variante)

Une journaliste, Manon Romain, s’est penchée dans Le Monde sur les évolutions à long terme des questions de dette, déficit, recettes et dépenses: l’article

Elle a bien soupçonnée que des évolutions de long terme se jouent, mais n’a pas dit B après avoir dit A.
Dans un premier tableau, elle constate que depuis 1980 le déficit et la dette dérapent toujours suite à des crises exogènes de dimension mondial.


C’est un phénomène que je vous ai souvent décrit ici ou sur mon blog, c’est une réalité que les technocrates des ministères des finances documentent depuis les années 1970, et que je remonte dans mes articles depuis 1905.


Dans les commentaires, un conservateur s’interroge “Sarkozy n’est quand même pas à l’origine de la crise des subprimes” – et bien indirectement, lui et ses alliés idéologiques tant aux États Unis qu’en Europe ont facilité par leur idéologie de privatisation et de dérégulation de la finance les conditions d’apparition de la crise financière de 2007-2008, crise qui rappelle des mécanismes déjà vus à l’œuvre en 1987, mais sans les outils de contrôle et d’action définis à l’époque.
Pire : c’est la politique de l’alliance Cameron-Merkel-Sarkozy-Rutte qui aggrave encore la crise financière mondiale en la laissant contaminer sans aucune raison la dette publique européenne, puis, par une politique de rigueur menée trop tôt avec le traité Merkozy en zone Euro, une récession européenne enn2012-2013 entièrement fabriquée par les européens en pleine reprise de la croissance mondiale. Seule l’Allemagne,grâce au maintien de son industrie orientée vers l’exportation, s’en tirera un peu mieux que le reste de l’Europe, les Pays Bas choisissant de se transformer en paradis fiscal européen, le Royaume Uni de quitter l’Union.
Il faudra la chute des prix du pétrole et du gaz en 2015, due à la concurrence entre Russie et OPEC d’une part, et États Unis avec les gaz de schiste d’autre part, pour relancer l’économie européenne, et notamment française.

J’ai dit dans un article en 2017 que les tenants de la baisse du ratio des dépenses publiques par rapport au PIB devraient d’abord se concentrer sur la prévention de crises mondiales exogènes telles que guerre mondiale, crise financière ou autres type de crise mondiale, pour empêcher de brutales accélération de ce taux.

Mais elle s’accroche à une explication par l’explosion de la dépense en point de PIB sans s’interroger sur l’évolution du PIB lui même.
De plus, elle sous estime un fait majeur du quart de siècle depuis 1997 : la baisse continue des taux d’intérêts en Europe qui a presque divisé par deux le poids de la charge de la dette en point de PIB alors même que la dette elle doublait presque en points de PIB.

La réalité, c’est que même avec un taux de dette à 110%, et un déficit qui a dérapé à 5,5% du PIB, les comptes publics et la dette sont PLUS soutenables en 2024 qu’en 1997.
Les critère dits de Maastricht ont été définis à une époque où la charge de la dette, c’est à dire son prix, était supérieur à 3% du PIB. Aujourd’hui, elle est de 2% seulement. C’est tout à fait raisonnable, et plutôt dans la moyenne européenne.
C’est pourquoi les marchés financiers n’ont pas du tout réagi aux annonces du dérapage, comme le Monde le constate, et au grand désespoir des Ifrap et autres Coe Rexecode qui appellent de leur vœu des cataclysmes prophétiques autorealisateurs. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/26/malgre-le-derapage-du-deficit-francais-aucune-tension-sur-les-marches-financiers_6224257_823448.html

La France a fait moins bien que l’Allemagne ou d’autres pays dans l’amélioration de la charge de la dette. L’Allemagne, en 1997, suite à la réunification, fait face à une charge de la dette supérieure à la France en points de PIB.
Ce qui a sauvé l’Allemagne, ce n’est pas la baisse des dépenses, elles n’ont pas baissées, mais une politique orientée sur l’exportation par le maintien des bassins industriels en utilisant l’avantage monétaire de l’euro et la abondance d’énergie carbone pas chère russe ou allemande (charbon), dans un marché de l’énergie structuré à l’avantage de l’industrie allemande et au désavantage de l’industrie française.

Entre 1997 et 2023, la principale évolution négative pour la France, c’est qu’alors que le pays étant toujours en démographie positive, les besoins en infrastructure publique augmentent, son taux d’industrialisation passe de 18% à 8%, et sa balance commerciale, d’un excédent de 39 milliards à un déficit de 100 milliards !
Ainsi, la croissance de la dépense publique est surtout tirée par les dépenses sociales, conséquences de la croissance démographique.
L’accroissement naturel de la population française reste supérieur à 3,5% tout ce quart de siècle!
Les dépenses augmentent au rythme de cette croissance démographique de 3,7% par a pendant 25 ans.
Cette évolution remarquablement synchrone n’a pourtant JAMAIS été thématisée dans le débat public.

Rappelons le : la croissance démographique allemande sur la période est entièrement due à des migrations extérieures d’adultes déjà formés. Le poids social et en terme de finances publiques n’est pas porté par l’Allemagne, dont la population et le nombre d’enfants baisse sur la période, mais par les pays d’émigration.
La France elle a due créé des écoles, des crèches, des cliniques pédiatriques, etc. pour près de 2000 milliards de plus que l’Allemagne entre 1975 – année où les deux Allemagne passent en déficit démographique, il y meurt plus qu’il n’y n’ait – et 2024.

Mais les élites françaises ont eu peur dès 1993 et une réforme des retraites portée par le ministre du budget de monsieur Balladur, un certain Nicolas Sarkozy, d’un effondrement démographique français à l’allemande. Depuis le début des années 1990, la politique française passe à un discours malthusien en complète contradiction avec la réalité des évolutions démographiques et des besoins économiques et sociaux du pays.

La première crise d’intégration, c’est que la France n’a pas voulue investir pour intégrer les nombreux enfants nés en France, de Français, entre 1990 et 2024.
D’ailleurs, l’extrême droite dissimulera le sujet en faisant croire que tous les français qui naissent en France seraient des étrangers, assimilant la jeunesse française à un obstacle pour démanteler l’Etat. C’est le Grand Mensonge : le bilan démographique français rendait superflu l’immigration du travail, qui s’effondre dès les années 90. Il n’y a pas eu de grand remplacement, mais un grande ignorance de la jeunesse de ce pays.

S’il y a eu un grand remplacement, c’est celui de l’industrie, délocalisée avec ses emplois hautement qualifiés bien rémunérés, mais souvent syndiqués, par des emplois de service à qualification interchangeable, faibles revenus et faiblement syndiqués.
Le PIB voit un remplacement d’emplois dans des secteurs à forte augmentation de la productivité à des secteurs de service à faible augmentation de la productivité.
De plus, le déficit commercial coûte chaque année 4 points de PIB à l’économie française.

Résultat : alors que les dépenses, poussées par la démographie, augmentent de 3,7% par an, le PIB connaît une progression moyenne de long terme de seulement 3%.
C’est cela, l’explication de l’augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB, et non un “état communiste”.
Si la démographie française avait été conforme à l’allemande, nous aurions 6 millions d’habitants en moins, c’est à dire le montant du nombre de chômeurs et de précaires, et des dépenses publiques inférieures de près de 12 points de PIB – comparable à la moyenne de l’Union.
Toute la bourgeoisie libérale française a gouvernée contre les enfants de la France.

L’évolution des dépenses publiques en période de croissance démographique ne pouvaient pas être le principal axe d’action pour contrôler le déficit et l’évolution de la dette.
Et pourtant, c’est ce qui s’est passé ! Tout le discours politique, et on voit l’influence que cela a pris y compris sur la journaliste de Le Monde, s’est concentré sur la réduction des dépenses.

Ajoutant que l’article, comme d’ailleurs beaucoup d’éditorialistes, n’interrogent pas l’explosion de la dépense publique à destination des entreprises. Elle est passée, alors même que l’actionnariat public passait de plus de 20 % du PIB et à moins de 4%, de moins de 1% du PIB en 1979 à 5% du PIB en 2023!
Dit autrement : on a vendu les entreprises publiques, mais le budget de l’état continue de refinancer les actionnaires privés à des montants largement supérieurs au revenu que l’Etat ne perçoit plus de ses dividendes, ou, indirectement, par le soutien de l’activité, par l’augmentation des recettes fiscales.

Pourtant, dans l’histoire de France, toute tentative dans le sens d’une baisse des déficits par la baisse de la dépense a toujours été déflationniste : les salaires dans leur ensemble ont perdu du pouvoir d’achat, le chômage augmenté, et l’activité économique en a été ralentie.
La crise sociale a toujours favorisée des partis politiques non républicains, et la conscience démocratiques en est affaiblie.

De plus, le ralliement des élites technocratiques françaises au consensus libéral européen les ont amené à privilégier les filières non productives dans l’économie, privant celle-ci de moteurs de croissance privée.
La privatisation des activités privée en main publique est un très bon exemple de ce fiasco économique sur la création de valeur et de croissance du PIB.
L’investissement privé d’ailleurs est bien loin d’augmenter au rythme des aides aux entreprises : au contraire, ce sont les dividendes et les rachats d’actions qui ont exploses, au profit d’un actionnariat que Nicolas Sarkozy, des 1993 sous Balladur, voulait voir s’internationaliser.
Nous rémunérons avec nos impôts des fonds d’investissement étrangers.

Maintenant, l’histoire de France nous enseigne, qu’après des périodes de crise mondiale augmentant la dépense publique, c’est par l’action volontaire, souveraine, et industrielle publique que la France a stimulée sa croissance de telle manière qu’elle dépasse celle de ses dépenses, réduisant la part du public dans le PIB.
C’est la leçon des années 1937-39, de 1954-1972, de 1997-2003.

Revenons un moment sur les privatisations.
En 1983, après les nationalisations qui répondaient à un moment de crise profonde de l’économie privée française et visait à recapitaliser en l’adossant à l’actionnaire immortel qu’est l’état, le poids du secteur public concurrentiel représentait 20% du secteur privé, 25% de l’industrie, mines, chimie, 70% de l’énergie, et 35% des exportations.
Le poids de l’état passe ainsi de 1985 à 2023 de 25% de la valeur ajoutée, 12% des effectifs salariés totaux, à moins de 5% de la valeur ajoutée et des effectifs salariaux.
Il ne reste plus que deux grands secteurs où l’état est encore présent : la poste et les transports publics, l’électricité avec EDF.

Les privatisations ont rapportées entre 1986 et 2020 près de 130 milliards d’euros à l’Etat. C’est en moyenne 4 milliards par an, mais avec de gros pics, et surtout, ces revenus ne sont pas renouvelables.

Elles l’ont privés cependant du revenu généré par ces activités qui s’établissait en 2005 encore à plus de 4 milliards de dividendes par an.

Enfin, l’Etat s’est privé d’un levier sur l’économie réelle. La chute de l’industrie et la chute du commerce extérieur sont ainsi directement liés aux privatisations et au retrait de l’Etat de la sphère productive.

En conclusion :
L’article du Monde est partial. La journaliste a bien trouvé des informations pertinentes, mais n’a pas su contextualisé l’élément le plus important de sa démonstration : l’évolution du PIB.

Comment en effet construire une argumentation sur le ratio de dépenses, de dette ou de déficit au PIB sans se pencher sur le PIB lui même?

Enfin, un point n’aura été traité ni dans l’article du Monde, ni ici même : le facteur récessif de la baisse des dépenses, notamment des dépenses sociales.
En effet, on sait que l’une des erreurs gravissimes du FMI et des organisations internationales au moment des attaques sur les dettes publiques européennes en 2010, ce fut de sous estimer combien la baisse des dépenses, en accélérant la baisse du PIB, fera s’effondrer encore plus vite les recettes.
L’exemple de cette erreur gravissime est la Grèce : la dette représentait 110% du PIB en 2010 quand la crise de son refinancement commence. En 2023, la dette, après 13 ans de baisse des dépenses, de privatisation forcées, et de saccage social avec des conséquences humaines tragiques, est à … 200% du PIB. Les politiques menées de baisse des dépenses ont été contre productives. Il aurait été de meilleur conseil d’investir en Grèce.
Par ailleurs, la démocratie grecque en est ressortie profondément affaiblie.

L’article du Monde : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/03/26/visualisez-l-evolution-de-la-dette-et-du-deficit-francais-depuis-1980_6224326_4355770.html