Quitter les plateformes

Quitter les plateformes

novembre 4, 2023 1 Par Mathias Weidenberg

Les réseaux sociaux n’ont pas attendus les plateformes technologiques pour exister. Si l’on se plonge dans l’histoire depuis que l’écriture existe, il apparaît que la plupart des sociétés humaines, sur tous,les continents, ont développé des modes de communication et de socialisation plus ou moins éloignées du contrôle des prêtres, des rois, des propriétaires, pour échanger sur la vie quotidienne, partager ce qui se passe, raconter les rumeurs, s’emporter et mener l’émeute contre une conspiration fantasmee. Le bouche à oreille ou les graffitis, sur les ostracons ou sur les murs, les pamphlets écrits et collés sur les palissades des chantiers, les libelles qu’on s’échange sous le manteau, les polycopiés et les tracts, tout cela témoigne que le réseau social n’est pas réduit à l’outil technologique supportant son existence et son expérience.

Depuis la victoire formidable des technologies de communication non écrites, radio et télévision, téléphone, ces réseaux sociaux se sont à la fois étendus, créant les prémices d’une opinion mondiale, et réduits, les programmes de chaînes et de radios limitées en nombre et contrôlées par les gouvernements ou les plus riches des pays équipés limitant la diversité des opinions et des propositions affichées. Mais l’on discutait intensément, dans la cour d’école, à la pause café, aux espaces de socialisation en groupe, des programmes et nouvelles entendues ou vues.

L’apparition des réseaux d’ordinateurs connectés a remis à la fois l’écrit et l’image au cœur des échanges des réseaux sociaux. Cependant, ces plateformes ont multiplié les quantités de producteurs de contenus, et les possibilités d’interagir avec ceux-ci.

Les plateformes de réseaux sociaux nés dans la fin de la première décennie des années 2000 se développent ainsi en apportant à la fois une pluralité stimulante, l’accès à des contenus d’experts plus rapidement, et la possibilité de s’exprimer, de se mettre en scène, de rester en contact familial ou amical.

La commercialisation des immenses amas de données accumulées cependant ne vise pas l’amélioration de la société ou le progrès des consciences, ni la recherche scientifique ni même l’apaisement des familles.

Dès le milieu des années 2010 les impératifs de marge, de revenu, de vente et de monétarisation entraînent les algorithmes et les plateformes à privilégier les contenus à court terme produisant beaucoup de trafic. Systématiquement, les sujets serons donc mis en avant lorsqu’ils favorisent les conflits et les engagements nombreux. On crée aussi une économie d’influence où des contenus triviaux sont produits pour soutenir l’effort publicitaire de marques en abandonnant toute prétention artistique ou pédagogique. On se contente de suivre la vie plus ou moins mise en scène de surfaces de projection.

Politiquement, les règles mises en place dans les démocraties suite à l’effondrement du journalisme et de la qualité du débat sur la place publique dans les années 30 en Europe ont été suspendues pour permettre le développement capitalistique de ces plateformes, affaiblissant considérablement les presses d’information et de vulgarisation, favorisant un mouvement de concentration industrielle et la disparition progressive du pluralisme.

J’ai, sur ce blog, sur les différentes plateformes que j’ai pu utilisé, dénoncé dès la crise financière de 2008 la marche à la guerre et à la mort de la démocratie des sociétés mondiales. Un temps, j’ai pensé que la lutte par l’argument et le mot, sur les réseaux sociaux, pourrait être utile pour contribuer à un niveau modeste à lutter contre la marche vers la catastrophe mondiale.

Il me faut aujourd’hui, en novembre 2023, reconnaître l’échec de cette tentative.

Les plateformes commerciales dites de réseaux sociaux ont besoin de contenus en apparence pluralistes, alors même que leur modèle d’affaire et de rentabilité suppose l’uniformisation, le clivage violent, l’absence de dialogue, l’absence de compromis. La guerre civile rapporte plus que le dialogue respectueux pour Meta, X et consorts.

Alors je quitte non les réseaux sociaux, nous sommes tous acteurs et objets de réseaux sociaux dans des dimensions infinies, et ne nous réduisons pas à notre existence sur un réseau d’ordinateurs connectés, mais ces plateformes devenues les organes de propagande des réactionnaires les plus violents, les plus corrompus, et les plus stupides.

Elon Musk représente une certaine idée du capitalisme américain. C’est un mélange de libertarisme anti-Etat et de darwinisme neofasciste. Certains progressistes pensent que l’état est le problème, et trouvent parfois dans les positions de Musk des confluences, des convergences.

L’histoire de la France montre que la démocratie n’est pas possible sans mettre l’Etat au service de tout le monde, ce que signifie le mot „République“, et que sans État, c’est le règne du plus fort, le féodalisme, l’esclavage qui dominent.

C’est sans doute là le clivage le plus profond des consciences progressistes, et la source de nombre de confusions.

Ce blog va tenter de maintenir une parole libre, socialiste, républicaine, non pour empêcher la marche à la catastrophe, mais pour l’accompagner en restant soi-même digne. C’est toute l’ambition que je me donne : en écrivant ainsi, rester digne, et si quelques lecteurs y trouvent un agrément, un encouragement, un réconfort, alors j’aurai dépassé même mon objectif.

Aujourd’hui, j’ai donc quitté Facebook, Twitter et quelques plateformes, ne restant que sur les réseaux privés (bouclés des communications) et alternatifs (Mastodon).

Je reviens en quelque sorte à l’Internet des années 2000-2005.