L’échec historique constant du libéralisme français

L’échec historique constant du libéralisme français

novembre 5, 2023 0 Par Mathias Weidenberg

L’un des tarte à la crème les plus anciennes de la polémique libérale contre l‘Etat, c’est que celui-ci est „trop gros“, et, pire, „pèse trop lourd en prenant trop d’impôts.“

Cette critique est formulée dès … l’ancien régime par les économistes français autour des physiocrates, les libéraux de l’époque, qui tentent de convaincre le roi de limiter les dépenses, notamment celles somptuaires de la cour et de Versailles, et de limiter l’augmentation des recettes.

„L’école physiocratique, première grande école économique, s’est développée en France au XVIIIe siècle avec pour maître à penser, François Quesnay (1694-1774). La physiocratie signifie le « gouvernement de la nature ». Les physiocrates se sont définis comme des « philosophes économistes ».
En réponse aux mercantilistes, les physiocrates affirment que l’État n’a pas à intervenir dans la sphère économique.
C’est inutile puisque l’économie est gouvernée par des lois naturelles analogues aux lois physiques. „ source ministère de l’économie.

Le budget de l‘Etat est alors surtout grevé par le coût de la dette accumulée pour financer des guerres perdues, la guerre de 7 ans entre 1756 et 1763 ayant à la fois coûté l’équivalent de milliards d’aujourd’hui et fait perdre le premier empire colonial français. Rappelons qu’à l’occasion de ce conflit, la France était alliée de l’Autriche et de la Saxe contre le Royaume Uni et la Prusse.

Des vestiges de cet empire sont conservés, où les familles riches de propriétaires locaux sont liés aux libéraux français, et y développent l’esclavage ainsi que les récits racistes sur les africains.

La „revanche“, la France la prends 15 ans plus tard en finançant à fonds perdus la révolte des colonies américaines contre le Royaume Uni. La guerre d’indépendance des colons britanniques sur la côte Est du continent nord américain coûte en hommes, en argent, et ruine l‘Etat.

On trouve un bon résumé des crises financières de l’ancien régime sur le site du ministre de l’économie et du budget contemporain. On y lit notamment ce constat : ce sont les guerres qui ont plongé la monarchie dans la crise financière et fiscale, à l’origine de la convocation des États Généraux pour une grande réforme fiscale, et aboutissant à une révolution politique, sociale, économique, juridique, et culturelle. En 1786, les libéraux français imposent un traité de libre échange avec le Royaume Uni, qui va ruiner une partie des manufactures parisiennes, notamment celles de l’industriel Reveillon, qui déclenchera une émeute en menaçant de réduire les salaires de ses ouvriers en avril 1789 exactement dans les quartiers qui trois mois plus retard s’empareront de la Bastille, et du Nord de la France, où un certain Robespierre est avocat. Ce traité de libre échange illustre aussi le sens du timing déplorable des libéraux français, que l’on retrouve tout au long de l’histoire de France : 1786, c’est l’année d’une profonde crise financière affectant tout le commerce trans atlantique et la péninsule ibérique, accompagnée d’une crise climatique affectant les rendements agricoles en 1787 et 1788, mais aussi d’une épizootie de peste bovine.

Le poids fiscal et social des riches propriétaires et de l’église devient insupportable aux français en 1789

C’est la guerre, déclenchée dès 1792 par l’Autriche et la fraction libérale des députés de la révolution soutenus par le Roi, les fédéralistes girondins, qui plonge le nouveau régime de monarchie constitutionnelle dans une crise politique dont émerge la République. C’est la guerre et la menace de genocide formulée par le duc de Brunswick contre les parisiens qui radicalise la commune de Paris, et le camp des Montagnards, c’est la guerre qui est à l’origine de la chute de la République et la crise financière des Assignats, c’est enfin avec la guerre que l’empire organise la paix sociale en France en pillant l’Europe, en rétablissant l’esclavage, en important le racisme des propriétaires antillais en France, en s’attaquant à l’égalité des droits des juifs de France, et perds tout.

La France de la Restauration est entre 1815 et 1818 occupée par les armées des coalisés, dans la crise financière due aux guerres menées depuis 1751, crise aggravée par l’indemnisation financière de l’aristocratie.

Pourtant, son endettement est bien inférieur à 1789 ! C’est que la République avait menée, avec la nationalisation de pans entiers de l’économie (les biens de l’église et proscrits), avec l’inflation et la création monétaire des assignats, une réduction efficace de la dette publique de 4 milliards en 1789 à 138 millions en 1799. C’est la „réussite“ de l’empire que d’avoir multiplie par 8 la dette laissée par la République, à près d’un milliard après les désastreux „100 jours“.

En 1799, la République a résolue la crise d’endettement de la monarchie, et aurait pu, la paix en vue, prospérer. La bourgeoisie alliée à l’armée en décident autrement et fomentent un coup d’état prolongeant la guerre, aboutissant au désastre de 1815. La restauration, qui n’a rien appris, replonge l’état sous la conduite de libéraux dans la crise.

Les libéraux français tenterons à nouveau de tout expliquer par le poids de l‘Etat, vendrons l’idée du libre échange comme la porte de sortie, exigerons des politiques de „main invisible“, le libéral français Say formulant sa „loi de l’offre“. En même temps, ces libéraux se divisent sur l’esclavage, une partie d’entre eux considérant que légiférer sur l’esclavage serait une intervention intolérable dans la liberté de contrat des propriétaires. Ils sont unis pour lutter au parlement contre la réduction du temps de travail des enfants, mesure qu’un libéral conservateur, un officier militaire, inspiré en expliquant que les cantons industriels ne peuvent pas fournir assez de conscrits pour les guerres coloniales engagées par les rois Charles X et Louis Philippe, et qu’il faut faire quelque chose pour disposer dans vingt ans de chair à canon en bonne santé.

Say et sa „loi de l’offre“ inspirera toute l’école du libéralisme français, dominant le discours jusqu’en 1848. lui-même meurt en 1832. En 2014, aux abois idéologiques, François Hollande avouera combien le libéralisme bourgeois français dont il était l’incarnation „sociale“ devait à Say. Macron, lui, représente l’incarnation autoritaire, fidèle à Pellegrino Rossi, opposé à la loi de 1841 interdisant le travail de nuit aux enfants, et opposé à la démocratie en Italie.

Et oui, la première grande réforme sociale de l’histoire contemporaine après la Révolution est inspirée non par l’humanité, mais par le bellicisme.

Il est à noter que le nom de cet officier militaire, chirurgien charcutier pendant les guerres de l’empire, est parfois célébré dans les cercles progressistes et socialistes, alors même que le bonhomme consacra des manifestes polémiques contre les idées socialistes de son temps et surtout s’opposa toujours au droit d’association et syndical.

Les libéraux français s’opposeront à la seconde république, et tenterons pendant tout le second empire de s’y installer. Les libéraux français n’ont jamais aimé la démocratie. Ils aiment le suffrage censitaire, qui donne le pouvoir aux propriétaires, et le plebiscite, où la masse est manipulée par les médias à leur botte.

La culture plébiscitaire française a infusée jusque d’ailleurs les camps,progressistes, qui, oubliant comment le référendum fut l’outil de légitimation des deux empires, réclament des référendums révocatoires, et proclament les rapports de force du scrutin présidentiel, grand plebiscite Manipulatoire de la cinquième république, comme base de l’organisation politique des mouvements progressistes, à l’exclusion de tout vote interne. C’est la culture du chef appliquée à la Nupes, c’est à dire le recyclage du stalinisme par des anciens trotskistes, quelle ironie. Mais je m’égare.

Les libéraux français s’opposeront aux tenants d’un protectionnisme raisonné, et d’une impulsion publique à la Recherche industrielle. Le décollage industriel de la France aura ainsi été retardé de 50 ans grâce aux efforts des libéraux français. Ceux-ci s’opposeront à la réorganisation des industries d’armement entre 1933 et 1939, et se rallierons en grande majorité au gouvernement Petain, avec l’essentiel du patronat, qui obtint de l’occupant de conserver le contrôle de son capital et de produire en toute souveraineté, même s’il s’agissait des matériels de conception allemand. C’est ainsi que la République, rétablie en 1944, relançant son industrie aéronautique et militaire, s’équipa de matériels produits en France, mais de conception allemande : avions, chars, équipement radio etc. C’est ainsi que le Morane Saulnier Criquet était en réalité le Storch des nazis. On nationalisa les entreprises collaboratrices, dont Renault, ancêtre de Stellantis. Et le démarrage industriel eut lieu alors que la coalition de la résistance (gaullistes, socialistes, communistes, chrétiens démocrates) menait la nationalisation de pans entiers de l’économie, une relance keynésienne financée par les États Unis, la création de la sécurité sociale, depuis financement de la retraite, une législation de protection des travailleurs.

C’est la guerre, c’est à dire l’héritage des deux monarchies des années 1815-1848, dont l’une, celle de 1830-48, considérée comme le paradis des libéraux français, qui va entraîner le renversement par l’émeute d’une foule d’extrême droite de la quatrième république, puis, par le plebiscite, la légitimation à posteriori du coup d’état. Car l’Algérie ne fut jamais une colonie de la République.

Ce sont les troupes du roi Charles X, frère de Louis XVI, qui s’emparent d‘Alger

La décolonisation des entreprises coloniales de la troisième république, elles-mêmes menée d’ailleurs par des républicains libéraux opposés au socialisme et aux droits des salariés français en France, est soit achevée par la quatrième république soit déjà préparée pour l’Afrique.

Mais l‘Algerie va à la fois faire tomber la quatrième république et mettre une grave hypothèque sur l’histoire contemporaine.

L’Algérie n’est pas une colonie de la République. C’est le pire conservateur des rois de l’époque contemporaine, Charles X, qui lance les troupes à l’assaut d‘Alger. Au départ, c’est une tentative de diversion des crises politiques intérieures. Il sera chassé par le peuple, mais son successeur accélère la colonisation. C’est sous Louis Philippe, c’est à dire la monarchie, que des tactiques genocidaires sont employées pour mettre fin à la résistance des différents peuples d‘Algerie.

Les libéraux français ont le sang de cet empire colonial sur leurs mains.

Le libéralisme français s’attaquera une fois les coûts de la guerre connus à tous les progrès et conquêtes sociales de la résistance. La victoire de Giscard et la destruction du gaullisme social par Chirac, marginalisant Chaban, vont ouvrir la voie à un demi-siècle de libéralisme triomphant, ponctués de défaites marginales de peu de durée, par exemple entre 1981 et 1984, ou entre 1998 et 2000. Dans les deux cas, Fabius rétablira la prééminence libérale au centre gauche.

Le libéralisme prétends être le plus pragmatique, efficace financièrement et économiquement, et bien meilleur gestionnaire des deniers public que la „gauche dispendieuse“.

Pourtant, l’analyse des grandes tendances des dettes, des crises de régimes suivant des crises financières, du budget même depuis le début du XXIeme siècle, prouve exactement le contraire.

Sous les libéraux, les performances économiques moyennes sont plus médiocres, le déficit commercial s’aggrave sous la conduite de ces libre echangistes, aggravant la dette nationale, les recettes stagnent ou reculent, les dépenses se ralentissent certes, mais au point de plonger l’économie privée dans la stagnation. Tant l’économie que l’état voient leur situation se dégrader.

Et le pire, c’est bien Macron. Aucune statistique ne justifie sa prétendue expertise économique, sa trajectoire budgétaire réelle est en contradiction avec tous ses effets d’annonce et ses objectifs.

Il réussit même l’exploit de réduire le chômage formel tout en augmentant la pauvreté et en réduisant le pouvoir d’achat !

Dans son „projet“ de 2017, Macron prévoyait de réduire le chômage à 7% ou moins de la population active, afin de dégager près de 60 milliards d’économie, réduisant déficit et dette.

Et bien, alors que le chômage atteint moins de 7% d’après les indicateurs, le gouvernement s’allie avec les pires réactionnaires libéraux menés par Ciotti, qui est une insulte au gaullisme quotidienne, pour réduire encore les montant de l’assurance chômage et l’équiper de dispositifs punitifs ayant, depuis les réformes libérales du même type des années 1830 au Royaume Uni jusqu’au réformes Harz4 en Allemagne, toujours prouvés atteindre le contraire de leur objectif au prix de souffrances considérables et de corruption, de violences, d’effondrement de la santé publique, et de montées de mouvements opposés à la démocratie.

Et bien, alors que les chiffres affichés par le gouvernement semblent remplir les objectifs du projet de 2017, jamais notre déficit commercial n’a été aussi abyssal, la production industrielle continue de baisser, le déficit budgétaire et la dette publique atteignent des niveaux records.

Sous Macron, la dette explose
Depuis les victoires politiques des libéraux et leur domination idéologique, le solde des finances publiques s’effondre. Pourtant, on a libéralisé, privatisé, réduit les allocations, augmenté l’âge de la retraite, baissé l’impôt des riches, réforme le droit du travail. Ça ne marche pas. Et c’est normal. Mais ils sont stupides, à répéter ce qui me marche pas en espérant qu’en dépit du bon sens cela marche.
Alors que la distribution des dépenses est à peu près stable, le taux de prélèvement explose depuis que les libéraux gouvernent majoritairement.
Les inégalités sociales, et devant la mort, elles, augmentent. C’est le cocktail mortel pour les démocraties.

C’est même pire : alors que tous les pays actuellement profitent de l’inflation pour réduire leur dette et leur déficit, Macron réussit à les augmenter.

L’incompétence crasse des libéraux français s’accompagne d’une incapacité cognitive totale à l’auto critique. Les recettes qui ont ratées en 1786, en 1840, en 1865, en 1871, dans les années 1920, en 1974, en 2007, sont répétées obstinément.

Le libéralisme français s’accompagne ainsi d’une tendance intellectuelle profonde à la stupidité.