Vive la République sociale

Vive la République sociale

septembre 24, 2023 0 Par Mathias Weidenberg

Ce samedi, une manifestation pour l’hôpital public à Langres, commune de près de 8000 habitants de Haute Marne, a rassemblé près de 6000 personnes.
Toute la région autour de Langres s’est mobilisée.

Une manifestation organisée le même jour sur un mot d’ordre assez confus et visant les violences policières en marge des émeutes et des manifestations de ces dernières années a rassemblé à Grenoble, 160 000 habitants, à peu près 2000 personnes, essentiellement des militants politiques et syndicaux, peu de citoyens.

Au delà de la justesse des revendications – j’ai ici, à titre personnel comme dans des textes collectifs avec mon parti exprimé ma condamnation des doctrines et des emplois des forces de l’ordre par le pouvoir actuel, et proposer des pistes de réforme et de formation, j’ai également condamné la réforme des officiers de police judiciaire, ainsi que les emplois illégitimes de la force et ce dès les manifestations de 2016, et rappelé que c’est lassassinat par deux policiers d’un étudiant ne manifestant pas, Malik Oussekine, qui est à l’origine de mon engagement politique – il y a la justesse du moment.

Nous sommes dans une rentrée extrêmement difficile pour tous les français quels que soient leur origine, leur lieu de vie, leur religion ou leur agnosticisme.
La récession européenne menace une croissance française anémique, sur fond d’une inflation due aux prises de marges des entreprises.
La hausse des taux d’intérêt asphyxie le bâtiment et les investissements tout en privant les français de l’espoir d’acheter un toit pour leurs vieux jours, alors même que beaucoup craignent, suite à la réforme des retraites, devoir partir en décote, et voient le logement individuel comme une garantie contre la grande pauvreté dans la vieillesse.
Tout devient plus compliqué : se nourrir, se loger, se déplacer, avec le coût des transports et de l’essence, se soigner, avec la fermeture des cabinets médicaux, des cliniques et hôpitaux publics, les journées de carence en cas de maladie, les urgences surchargées, et enfin d’éduquer ses enfants, entre lois travail désintégrant la cellule familiale en imposant le travail aux parents les week-ends et les soirées, et une rentrée catastrophique au point que les députés de la majorité, pour fuir la description des faits, n’ont plus que l’insulte commune au Rassemblement National, accusant les enseignants d’être « islamogauchistes » lorsqu’ils se plaignent du manque de moyens et des promesses jamais réalisées.

La lutte contre la réforme des retraites, mais aussi l’état de l’opinion fin 2018 et début 2019 au début des Gilets Jaunes, a démontré que ces questions essentielles, nous ramenant au choix de structures économiques et sociales, d’aménagement du territoire, de solidarité entre classes et générations, pouvaient être majoritaires.
C’est sur ces sujets que la gauche parlementaire aurait dû organiser ses rentrées politiques – et la fête de l’humanité tenta de le faire, et il fallut que des gauchistes fassent diversion en insultant le président du parti « hôte » – et ses actions de rentrées militantes.

Mais non : le gouvernement fait diversion, et bien sûr continue de mener la répression des mouvements sociaux. Alors on se jette sur les chiffons rouges que brandit le gouvernement, incapable d’imposer les sujets qui intéressent les français.

Dès lors, l’extrême droite a un boulevard pour expliquer toutes les difficultés que j’ai cité plus haut par des logiques de boucs émissaires : les « sauvages » des banlieues, les immigrés, les musulmans, les italiens de Lampedusa, les ukrainiens et leur guerre – alors que c’est la Russie qui mène la guerre d’invasion en Ukraine et finance l’extrême droite française, comme une vulgaire CIA finançant les trotskistes dans les années 50 pour affaiblir le PCF et la CGT – seraient responsables de tout.
Alors que l’inflation n’est plus due aux prix de l’énergie, l’extrême droite répands l’idée qu’il suffirait d’arrêter de soutenir l’Ukraine pour revenir au « monde d’avant ».
C’est un mensonge à court terme comme à long terme.

Le monde se transforme depuis la fin des années 2010. Il y a eu une bascule après 2016.
Tant les crises du système logistique de la globalisation se multiplient, provoquant dès 2019 un ralentissement mondial et une petite récession en Allemagne, que la crise climatique s’accélère, avec des pics de basculement franchis 10 à 20 ans plus tôt que les prévisions scientifiques.
Les innovations technologiques se poursuivent : l’intelligence artificielle est, comme autrefois l’internet, à la fois une chance incroyable et un risque considérable, dépendant de la manière dont nous allons nous emparer de cet outil.
La crise pandémique nous a aussi rappelé que les épidémies ont toujours accompagnées les civilisations humaines. La grippe espagnole a plus tuée que la première guerre mondiale, et provoquée un ralentissement mondial en 1919. Il y avait déjà eu des masques, des confinements. Et il y eut des flambées épidémiques avec des variants. La Covid a encore une fois soulignée la faiblesse profonde d’une division du travail globalisée.

Il y a donc une impérieuse nécessite à relocaliser, à reconstruire un pacte national et républicain réconciliant classes et générations. C’est la seule réponse alternative à la guerre.
Ce serait un formidable message pour une gauche prête à assumer l’histoire glorieuse du mouvement progressiste et ouvrier français, depuis les premières révoltes de la commune de Paris au Moyen Âge, les travaux sur la séparation des pouvoirs, sur le passage de la charité à la solidarité du XVIIIeme, l’arrachement à la bigoterie chrétienne et ses soutiens à l’absolutisme, pour magnifier la souveraineté populaire, l’universalité des droits, émanciper les esclaves, les noirs, les cagots, les juifs, les gitans en proclamant l’universalité de la citoyenneté, puis, en luttant, par le fusil comme par le bulletin de vote, contre les retours de l’oppression et de la tyrannie, intérieure comme étrangère.
L’insurrection de 1944 est aussi un mouvement social, proclament les droits sociaux et la République Sociale, mettant en œuvre, en coalition des socialistes, des chrétiens sociaux, des communistes et des gaullistes de gauche, les réformes les plus considérables de notre histoire sociale. A l’époque, on n’a pas eu peur de punir les patrons collaborationnistes en les privant de leur capital.

Il y a là des sources de fierté et de gloire.
Nous avons décolonisé ce que les monarques d’abord, les bourgeois libéraux ensuite, avaient colonisés.
Il y a des erreurs, aussi, souvent répétées, comme le Millerandisme, le Molletisme, le Hollandisme.
Et il y a une faiblesse historique: ce que Marx appelait le « gauchisme infantile » qui voit dans l’insurrection en soi un objet positif et désirable, de Blanqui aux anarchistes, des minorités trotskistes et maoïstes aux indigénistes, qui ignorent les conditions matérielles et sociales, méprisent le peuple français en magnifiant une « avant garde » qui saurait tout mieux que tout le monde, bref, qui singe les défauts de la haute fonction publique depuis Colbert dans la conspiration émeutière.
Malheureusement, le parti majoritaire en députés au sein de la gauche parlementaire est en pleine grippe blanquiste, en fièvre carbonariste, et du coup, retrouvant la violence rhétorique de Marat, rêve que les autres gauches soient éliminées. Alors on appellera les autres révolutionnaires de monarchistes, les communistes de collabos, et les républicains sociaux de corrompus.
C’est le peuple républicain qui mets fin à la royauté, d’abord en prenant les Tuileries un 10 août 1792, puis en proclament la royauté abolie un 21 septembre, alors que les autrichiens menacent Paris d’un génocide.
Mais les massacres de début septembre sont eux une tache indélébile sur notre Révolution, que les réactionnaires continuent de nous opposer pour disqualifier tout le reste.
Les violents d’aujourd’hui qui se jettent sur tous les chiffons rouges, y compris une voiture de police bloquée dans la circulation, sont les pitoyables alliés de ceux qu’ils désignent pourtant comme leurs adversaires, et sont bien plus déterminés face à leurs alliés, qu’ils qualifient d’ennemis, car ils ne souhaitent que l’excitation de l’émeute et non la libération du peuple.

La Défense de l’hôpital public rassemble un tiers des adultes d’un bassin d’emploi et d’habitation d’une petite ville au milieu des campagnes.
La culture de l’émeute rassemble moins d’un pour cent des habitants urbains d’une ville gérée par les écologistes.

La circonscription de Langres a vu en 2022 une victoire du candidat Rassemblement National, finissant loin devant la candidate LFI-Nupes (alors que la mairie de Langres avait été reconquise l’année précédente par le PS, la LFI s’était imposée dans cette circonscription) dès le premier tour (27% contre 16%) et battant la candidate de la majorité, affilié Horizons, au second.
Un jeune candidat « France rurale » inconnu et sans parti avait réalisé 10% au premier tour.
La Haute Marne avait voté à 36,6% pour Marine Le Pen dès le premier tour de la présidentielle.

Dois-je faire un dessin encore plus précis ?

Le gauchisme infantile réduisant le peuple à la minorité autour des grandes villes(10% à peine des classes populaires et moyennes en France) jette les classes populaires dans l’apathie, l’abstention, et l’extrême droite, alors même que ces classes populaires sont prêtes à se mobiliser sur les sujets concrets, les retraites, l’hôpital, la sécurité, les salaires et le pouvoir d’achat, l’inégalité des territoires.