Il n’y a plus de concorde possible

avril 16, 2023 0 Par Mathias Weidenberg

La cinquième république naît dans des combats de rue. C’est la rue, en manifestation violente, qui provoque le chaos, et une intervention militaire, pour renverser la quatrième république.
La cinquième république naît aussi d’un mensonge. De Gaulle promets à la foule factieuse qui vient de le remettre au pouvoir – écartant la gauche pour 23 ans, mais ces jours là, Guy Mollet et une partie de la SFIO soutenait le coup d’état – “je vous ai compris”.


Cette foule voulait une seule chose : écraser la rébellion indépendantiste algérienne et conserver l’Algerie comme colonie française.
De Gaulle lui sait que c’est non seulement impossible politiquement – l’armée aura l’impression d’avoir gagné la bataille militaire, ce qui est aussi contestable – mais non désirable économiquement. Pour rétablir une souveraineté au sein des instances internationales, il lui faut se séparer de l’Algerie. Il ment sur ce balcon.
Enfin, la cinquième république naît d’une troisième fable : ce n’est pas l’instabilité parlementaire qui paralyse alors la France, mais la guerre en Algérie. Les gouvernements français qui se succèdent bénéficient à la fois d’un État où les fonctionnaires croient au service public, qu’ils soient de droite ou de gauche, et d’un parlement fort, capable de légiférer et de tenir alors que les exécutifs sont faibles.
C’est la quatrième république qui crée la sécurité sociale, la retraite par répartitions, l’assurance chômage, qui lance le programme de nucléaire civil et assure à la France la dissuasion nucléaire militaire, qui mets fin aux conflits coloniaux et construit les bases de ce que l’on appelle les 30 glorieuses.

De Gaulle saura aussi accepter des principes de contrôle et de limitation de l’exécutif. “Je ne vais pas commencer une carrière de dictateur” – et c’est pour cela que la cinquième république désynchronise mandats parlementaires et présidentiels, pour imposer un contrôle par l’élection de l’action de l’exécutif. C’est pour cela qu’au début le régime utilise tant les référendums – pour rappeler que la souveraineté ultime vient du peuple. Et de Gaulle tombera sur un référendum.
les réformes depuis la fin des années 90 et la jurisprudence du conseil constitutionnel ont peu à peu fait évoluer le régime vers ce que les oppositions en 1958 dénonçaient : un coup d’état permanent.

La cinquième république est née de la foule en colère, un foule colonialiste et raciste approuvant la torture contre les arabes musulmans, d’un mensonge à cette foule, et d’un coup d’état militaire. Cette foule retentera le coup en 1961, les mêmes hommes, au même endroit.

Finalement, depuis, à chaque fois que les gouvernements ont décidé de trahir les volontés exprimées par le peuple dans l’élection, ils sont restés fidèles à l’esprit même qui a baptisé cette république là.
Tant le tournant anti laïc de 1984, de la rigueur et la libéralisation Fabiuso-delorienne, le tournant anti souverainiste de 1992, la trahison de 1996 – Chirac élu sur la promesse de combler la fracture sociale lançant une réforme antisociale des retraites avec Juppé – il faudra la rue pour les faire renoncer, et une dissolution entraînant une cohabitation pour amener le régime le plus proche de ce qu’aurait pu être cette constitution- un parlementarisme raisonné, tout cela est dans l’ADN de ce régime.
Mais le PS trahit en à son tour tout son discours institutionnel né dans l’opposition à 1958 et commets la pire des réformes – synchronisant les mandats et rendant le contrôle de l’exécutif par le peuple souverain impossible. Depuis, les scrutins intermédiaires ne servent plus à rien, la culture démocratique s’érode, et même les deux élections les plus importantes laissent le peuple indifférent.
Et c’est donc logique que le référendum, encore instrument d’expression de la volonté générale en 1968, cesse d’être respecté en 2005. C’est la nature même de ce régime, c’est en continuité avec les conditions mêmes de sa naissance.
La cinquieme République hérite dans la constitution ses plus belles pages de la quatrième : le préambule, qui rends la sécurité sociale droit constitutionnel, la définition, république sociale, laïque, indivisible, démocratique.
Mais en réalité, la cinquième république est un régime factieux, mensonger, raciste par essence même de sa naissance, sans respect du souverain ni de la volonté générale, un régime dont la violence intrinsèque est libérée par Macron.
Car si celui-ci fut décrit un temps comme libéral, la seule chose qu’il a libéré, ce sont les violences physiques, symboliques, politiques et institutionnelles au cœur de la cinquieme république.
Il se rêve de Gaulle quand il n’est que Salan.
Et c’est bien à la rue qu’il va falloir revenir pour nous nettoyer, nous purifier, de 65 ans de cette honteuse cinquième république.
Car l’alternative on la connaît : c’est la fille d’un factieux de 1958 et 1961 qui emporterai la république. Elle achèverai finalement ce que les manifestants du 13 mai 58 désiraient en réalité.
Il n’y a donc que deux issues à la crise actuelle : la fin de la république, ou la sixième république.

Image : 28 mai 1958, manifestation monstre à Paris à l’appel de tous les syndicats et la plupart de la gauche (sauf Mollet) contre le coup d’état militaire et la constitution de comités de défense de la République.