Le surf de l’esprit un dimanche
Un dimanche ensoleillé de novembre, l’un de mes passe temps depuis le temps où internet n’existait pas, et qui m’accompagnera jusqu’à la fin, c’est surfer chez les bouquinistes, sans but ni idée, comme les modernes surfent aujourd’hui sur les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux.
Ce dimanche, c’est donc les étals des brocanteurs et bouquinistes de Berlin qui ont accueilli les caresses de mon esprit en promenade.
Or, Berlin a connu deux dictatures successives, qui toutes les deux prétendaient par l’homogénéité de leurs idéologies pouvoir expliquer tous les mystères du monde. Il n’est donc pas rare de trouver dans des cartons à 2 livres pour deux euros à la fois des publications sous le troisième reich et des publications orthodoxes marxistes de la RDA.
De plus, lorsqu’on vit en dictature, il est d’usage de trouver des sujets en apparence sans idéologie pour tenter de penser plus librement. Il y a donc aussi des livres très sérieux sur des sujets très étonnants.
Dans mon butin de ce jour, on commencera par un livre de l’Ouest se posant la question de la réception du jacobinisme en Allemagne pendant la période républicaine de la Révolution française.
On continuera par une synthèse de la fin des années 1950 sur l’histoire mesopotamienne, qui m’intéresse moins pour l’actualité de ses ressources archéologiques que pour les concepts et modes de pensée appliqués à ces recherches à cette époque. En plus, il est bien écrit.
En 1914, à Leipzig, on vivait encore dans le souvenir du plus grand poète allemand, Goethe, et l’on se posait la question d’à quoi il ressemblait, et comment son apparence était perçue par les autres. Le livre contient la reproduction de tous les portraits connus du poète.
En 1990 la commission historique franco allemande se rassemblait à Berlin, où se trouvait encore des troupes d’occupation française, pour faire de l’histoire comparée entre Berlin et Paris entre 1815 et 1830 – alors que Paris est donc occupée par des forces militaires étrangères dont prussienne et russes les 3 premières années, et que l’ordre européen le plus proche de celui que nous connaissons, la « Sainte Alliance » se mets en place, sur fond de montée d’un nationalisme liberal et démocratique, voyant dans le peuple souverain l’espoir de la fin de l’autocratisme.
En 1966, le maire de Berlin (Ouest) s’appelle Willy Brandt. C’est pas son nom de naissance : résistant, obligé de s’emigrer, Brandt vivra comme journaliste à Oslo, où il écrit en 1940 un livre présentant son analyse historique de la catastrophe nazie et ses visions pour un ordre international après guerre. C’est une reedition de 1966.
Enfin, le dernier livre est un pamphlet raciste, nazi jusqu’à la dernière lettre de son texte, publié par un propagandiste nazi en 1938. Il y expose une théorie du … « grand remplacement » mais pas celui qu’on croit.
Après une analyse statistique extensive du rôle de l’Europe, et notamment l’Allemagne, les pays nordiques, la Grande Bretagne et l’Irlande, dans L’EMIGRATION du XIXeme et chantait les louanges de celle-ci comme une conquête raciale du monde, il regrette que l’Europe cesse d’être un pays d’émigration au XXeme , accusant notamment la France et d’autres, moins racialement purs, de ne pas remplir la mission de domination mondiale de la race blanche. Du coup, il appelle à un remplacement des forces impérialistes au profit bien sûr de l’Allemagne nazie, qui d’après lui avait vocation à étendre son espace « vital et racial » sur les colonies des « vieux peuples épuisés de la démocratie corrompue » grâce à « son talent et son engagement ». Il reconnaît dans le Japon une source « d’énergie vitale » à qui il promets dans son imagination raciste la domination de la Chine, l’inde et l’Afghanistan… Le « grand remplacement » n’est que l’envers de l’idéologie nazie, l’accusation des vieux racistes et leurs jeunes adeptes portée contre le reste du monde de vouloir commettre les crimes qu’eux mêmes caressent en rêve de commettre. C’est une projection fantasmatique, comme un tueur en série emprisonné, par le récit des crimes d’un copieur, s’enivre de cette représentation.
Mais il est intéressant de tomber par hasard, dans un carton sinon plein de livres de poésie et de récits de voyage, sur ce témoignage de l’actualité toujours renouvelée de la bête immonde.
Comme quoi, surfer sur des bouquinistes préparait bien l’esprit aux confusions des séances sur internet….
L’auteur Johann von Leers était un cadre du NSDAP et un officier SS, bras droit de Goebbels, représentant de l’aile ouvrière du mouvement.
Et là ça va piquer les yeux de nos neo-fascistes, comme peut-être d’autres : théoricien de l’antisémitisme, il fut l’un des idéologues de la conquête des islamistes au projet nazi et l’un des inspirateurs de l’islamofascisme, très populaire en Égypte.
Enfui en 1946 d’une prison américaine, il passe par le mufti de Jérusalem avant de se convertir à l’islam en Égypte et d’y vivre jusqu’à sa mort en juillet 1965 sous le nom Omar Amin. Il était employé par le ministère de l’information de Nasser. Il est enterré dans une tombe de rite musulman en Allemagne.
