Renversement de paradigme
Ou la fin doctrinale du Merkellat
L’Allemagne a procédé à un renversement de ses doctrines géopolitiques en quelques semaines seulement.
Cependant, il faut bien se souvenir que dès décembre 2018, lorsque la CDU refuse que Angela Merkel reste présidente du parti et nomme celle qui devait être la succession, commence une période de révision des doctrines du Merkellat, ainsi que de celles héritées des deux gouvernements Schröder.
Angela Merkel ne devant plus être candidate, elle perds peu à peu de l’influence tout au long de l’année 2019. À ce moment là, l’Allemagne s’interroge, traumatisée par le mandat Trump, sur son atlantisme inconditionnel.
On entends des paroles très critiques quant à l’OTAN comme partenaire peu fiable. A la conférence de sécurité de Munich, il y aura des voix pour plaider pour l’acquisition de capacité de dissuasion nucléaire propre, par exemple.
Cela peut avoir comme origine, après le Brexit, le refus de n’être dépendant que de la France pour cela en cas de replis complet des États Unis d’Europe, ou du doute sur la capacité française à étendre son doctrine de dissuasion à l’Union Européenne, et à effectivement délivré la frappe nucléaire en dernier ressort.
Le mandat Trump, qui décide de punir l’Allemagne de refuser de compenser ses excédents commerciaux en achetant des matériels militaires américains en retirant des troupes, s’achève par une tentative ratée de coup d’état, resté impuni, illustrant l’extrême faiblesse de son successeur.
Au moment de la pandémie, le SPD a aussi fait un gros voyage, très progressif, et accéléré après le score terrible de 2017. Dès 2015, des lois travail créent un salaire minimum et des dispositifs visant à mettre fin aux jobs à 1 euro, ainsi qu’à progressivement réduire le nombre de gens piégés par Harz4, le minimum social punitif des pauvres qui sert de modèle aux propositions Macron sur le RSA.
Mais le choc de la défaite de 2017, qui faillit aboutir au retour à l’opposition, oblige le SPD à prendre des mesures internes.
On assiste à deux renouvellements successifs des cadres, avec la mise sur la touche de Sigmar Gabriel puis l’échec de Andrea Nahles. Les militants choisissent deux inconnus connus pour des positions très à gauche, dont un spécialiste de la lutte contre la fraude fiscale.
S’ils eurent des difficultés médiatiques, leur absence de notoriété leur interdisait de rêver prendre la chancellerie : ils se concentrèrent sur le travail de fond dans le parti, ses structures, ses programmes.
Le programme proposé en 2021 était le plus à gauche des 20 dernières années.
Olaf Scholz ministre des finances apprit sa leçon en perdant la compétition interne pour la présidence du SPD face à ces deux inconnus, Saska Esken et Norbert Walter-Bojans.
Lorsque la pandémie frappa le cœur de l’Europe, il annonça un plan de relance keynésien de la demande nommé « Bazooka ».
C’était déjà une profonde rupture avec la doctrine merkellienne de la règle d’or par dessus tout.
S’éloignant de la doctrine Merkello-Schroederienne de la punition des pauvres, le gouvernement allemand distribua des aides sociales sans conditions pendant la pandémie. La philosophie des réformes Harz est morte pendant le Covid.
De plus, l’Allemagne fut l’un des moteurs pour qu’on plan de relance européen soit conçut, acceptant des mécanismes de solidarité entre États européens. Là aussi, c’est l’un des points cardinaux de la doctrine européenne de Merkel, la concurrence entre Nations dans un espace monétaire et d’échange commun, qui s’effritait.
La chancelière ne joua aucun rôle politique en 2021. Elle subsistait sur la scène internationale, mais son influence s’effondrait avec la conscience que son mandat finissant était son dernier.
La défaite de son parti en septembre 2021 signifie la fin de 16 ans de gouvernement Merkel, de la CDU et de la CSU au niveau fédéral.
La nouvelle coalition, SPD, Verts et Libéraux, rompit avec certaines doctrines Merkel plus secondaires immédiatement : au ministère de l’intérieur, on nomma enfin le danger du terrorisme d’extrême droite non plus dans des discours mais dans les moyens pour le combattre.
Agriculture et transport sont aussi deux sujets d’importance où la nouvelle coalition donne des impulsions différentes.
La guerre russo-ukrainienne a cependant accéléré ce processus de transformation des paradigmes.
Contrairement à une lecture superficielle, l’Allemagne ne refait pas une confiance aveugle à l’atlantisme. Biden était le 23 février au soir très faible chez lui, l’hypothèse d’une victoire d’un représentant de la ligne Trumpisme dans 3 ans est possible. Or, si l’OTAN a été mis en « état de mort cérébrale » (Macron) une fois, cela veut dire que l’allié principal, de plus en plus préoccupé par l’espace Pacifique et la Chine, n’est plus fiable.
De plus, le Merkellat restera dans l’histoire comme un gouvernement d’une extrême myopie par mercantilisme cupide. Merkel n’aura jamais mis en accord ses déclarations de principe et ses actes de gouvernement. Elle aura souvent condamnée l’absence de démocratie en Russie, prétendra « protéger » les opposants, tout en concluant des traités économiques ne cessant de renforcer la dépendance énergétique de l’Allemagne à la Russie, sabotant même les alternatives possibles.
On l’oublie, mais Merkel, tout en se prétendant soutien de l’Euromaidan en 2014, fut d’une grande lâcheté sur la Crimée, et choisit de renforcer le projet Nord Stream 2, dont le principal objectif et de contourner … l’Ukraine pour livrer le gaz russe.
Sa politique, je la qualifie de « mercantile » parce qu’elle tenait dans une formule fondée sur le commerce : « Wandeln durch handeln », changer grâce au négoce.
Ce choix de l’abondance du gaz russe avait plusieurs conséquences, et visait surtout à ne pas investir. Merkel, pendant 16 ans, refusa beaucoup des investissements nécessaires, ses partenaires de coalition lui arrachent des concessions, notamment sur le renouvelable, lorsque les industriels les soutenaient.
Depuis, c’est un ministre Vert qui parle de relancer le nucléaire civil pour compenser l’automne prochain une partie du gaz russe.
C’est le ministre Libéral des finances qui annonce un plan d’endettement considérable pour financer tout un ensemble d’investissements structurels, de la construction de ports avec terminaux pour du gaz liquide à la relance de l’équipement militaire de la Bundeswehr.
Car Merkel, en bonne déflationniste à la Daladier, avait aussi économisée, avec von der Leyen ministre de La Défense, tout ce qu’elle pouvait sur ce chapitre, alors même que l’Allemagne assumait des missions militaires à l’Etranger, trouvant cela plus économe que de financer, comme elle le faisait sous Helmut Kohl, les interventions des autres.
Le chef d’état major des armées dut reconnaître que si l’Ukraine tombait en quelques jours, La Défense allemande ne serait pas en mesure de contenir une menace en Pologne.
C’est donc une ministre SPD qui annonce 100 milliards pour La Défense.
C’est un ministre vert qui se rends au Qatar pour conclure des accords de livraison de gaz liquide.
Car le gouvernement allemand, contrairement à une lecture fainéante de certains cercles d’extrême gauche française, ne veut pas échanger une dépendance au gaz russe par une dépendance au gaz de schiste américain, surtout avec les Verts au gouvernement. Alors, on cherche des alternatives.
Il est probable que le gaz iranien revienne sur le tapis international.
Merkel avait bien d’autres dossiers où régnaient la confusion et les contradictions permanentes, la chancelière louvoyant au jugé, le doigt mouillé en l’air. Si elle ouvrit ses frontières en septembre 2015 aux réfugiés Syriens, après avoir refusé d’aider les pays européens qui recevaient ces réfugiés, et après avoir massacree la démocratie en Grèce, elle conclut un accord avec la Turquie d’Erdogan pour les refermer.
En refusant les transferts solidaires en Europe, elle a laissé se dégrader une situation humanitaire catastrophique. Elle a augmenté encore la dépendance au bloc russe, le président biélorusse utilisant l’ouverture de ses frontières comme arme de chantage contre l’Union Européenne.
Aujourd’hui, l’Allemagne accueille déjà plus de 300 000 Ukrainiens, la Pologne près de 1,8 millions. 3 des 3,4 millions de réfugiés ukrainiens hors d’Ukraine sont sur le territoire de l’Union Européenne. Il y a en Ukraine même 6,5 millions de déplacés.
Un quart des ukrainiens ont fui la zone des combats. C’est un exode seulement comparable à celui qu’a connu la France en mai-juin 1940.
Alors que l’Allemagne se mobilise jusque dans la société civile pour venir en aide, comme en 2015, la présidence française de l’Union reste muette sur une politique migratoire et d’accueil.
Cela éclaire du coup une erreur de jugement des analystes français sur l’annonce d’un réarmement allemand. Celui-ci pointé vers l’Est, et une fois l’Ukraine neutralisée, sa façade maritime occupée, l’Allemagne redevient le glacis défensif pour la France qu’elle était entre 1945 et 1989.
Si la France n’a plus la volonté d’exercer sa dissuasion nucléaire, déclaration de Jacques Chirac, ni la capacité de l’exercer, Poutine n’aurait pas peur des lanceurs français qu’il semble persuadé de pouvoir intercepter, alors elle doit aussi assurer sa défense conventionnelle.
L’Allemagne est donc passée en 3 ans dans un processus profond et radical de transformation de ses doctrines.
Il reste un dossier où des amorces existent, mais où une initiative se laisse attendre. C’est l’Union Européenne.
Or, la présidence de l’Union est exercée par … Macron, et celui-ci ne comprends rien au monde ouvert par la défaite de la droite allemande puis par l’invasion de l’Ukraine.
Il n’y a donc eu encore aucune initiative de solidarité financière ni de construction d’une Union de La Défense plus intégrée, qui rendrait à la fois autonome de l’OTAN tout en protégeant Finlande et Suède. Macron, qui pourtant ne fait pas campagne, procrastine, comme d’habitude, tout en posant dans les journaux en Cosplay.
L’absence de débats de fond en France sur ces sujets alors même que nous sommes en campagne électorale contraste fortement avec les transformations radicales en cours Outre Rhin.
