Morale

janvier 14, 2022 0 Par Mathias Weidenberg

A propos de politique sanitaire.

( Ni historien, ni philosophe, je suis un homme d’action, cadre commercial dans l’informatique professionnelle en nuage. Ce texte est donc plus une réflexion morale de l’action, et non un essai de théorie novateur. Aucune réussite dans mon champ d’action est le résultat d’une action individuelle.

Toute les réussites sont collectives, mon rôle de chef est de garantir une philosophie commune de l’action, et si tout le monde a des objectifs individuels, c’est l’équipe qui permet à chacun de remplir sa mission.Cette philosophie de l’action privilégie la diversité des équipes, l’intelligence d’un essaim tentant des directions différentes, et la mise en commun autant que possible.

Je ne dicte jamais d’ordres ou de consignes : la discipline est un résultat, volontaire.

Au contraire : au cœur du mode de fonctionnement se trouve la capacité des membres de l’équipe à exprimer leur dissensions, et, si leurs arguments l’emportent, changer nos plans et nos actions.Au cœur se trouvent trois valeurs collectives : confiance, respect, partage.

Avec plus de 50 collaborateurs et une pression mensuelle du résultat, 40% de diversité de genre, et une diversité cognitive, nous réussissons en plus à travailler dans le plaisir, et le rire.)

Appliqué à la conduite d’une Nation, ma morale de l’action est diamétralement opposée au Macronisme, qui a mes yeux n’est dans sa méthode qu’une version policée du Trumpisme, la décadence tyrannique mettant fin à la démocratie au nom de l’oligarchie.

J’ai ici même souvent critiqué l’idéologie libérale dans ses diverses interprétations, expliquer pourquoi ces idéologies, leur appareil conceptuel, les outils qu’ils préconisent pour la puissance publique, ne fonctionnent que par mer calme et beau temps.

Des lors qu’une crise survient, le libéralisme, et ses variantes, – individualisme, libertarisme, néolibéralisme – est désemparé. Par principe, dans les modèles orthodoxes, les crises sont impossibles. Si tout le monde fait bien comme la théorie l’exige, en théorie, la crise n’existe plus.

Toute la philosophie libérale consiste à créer un équilibre permanent dans lequel la possibilité de la crise disparaît, et dès lors, les stratégies collectives de protection contre les crises – la société, la solidarité, la culture, l’organisation religieuse, l‘Etat et ses fonctions régaliennes ou ses fonctions sociales – deviennent superflues, et la liberté individuelle doit se déployer dans une jouissance infinie des ressources disponibles.

C’est au fond une vision religieuse du devenir humain, qui crée une version paradisiaque de la redemption avec „la fin de l’histoire“. Dans le libéralisme, dans les modèles orthodoxes, dans l’essentiel de l’appareil conceptuel des décideurs modernes, la biologie n’existe pas.

Nous sommes des êtres vivants soumis à des règles collectives qui nous dépassent : celles de la biologie. Or être vivant, c’est être dans une crise biologique permanente, qui s’achève un jour pour tous les vivants, dans leur individu, pour laisser substituer le vivant dans son collectif.La mort n’existe pas dans les modèles orthodoxes, dans les théories libérales.

Les crises du vivant, telle que les maladies, n’existent pas non plus. C’est pourquoi, en plein effondrement des régimes bureaucratiques soviétiques, les philosophes libéraux ont pu théoriser des absurdités telles que „la fin de l’histoire“.Les philosophies libérales de l’action comme celles définissant l’humanité évitent le sujet de notre fin, individuelle comme collective.

La mort n’existe finalement que sous l’angle de la transmission de patrimoine, de l’héritage, et de ses conséquences pour l’équilibre général. Est-il désirable que des individus n’ayant pas contribué à l’équilibre général héritent ? Cela aurait-il des conséquences durables néfastes? C’est un peu ce que le gouvernement actuel laisse sous entendre lorsqu’il parle des „inclus“ et de l’accès aux ressources sociales pour les „non inclus“ justifiant de casser les dernières protections collectives ayant résisté, celles de classes bourgeoises ayant les moyens de résister.

Le vivant cependant est dans cette crise permanente. Nous naissons, nous connaissons une phase de croissance, une phase de reproduction, une phase de transmission de nos savoirs et expériences, et une phase de vieillissement, suivi de notre disparition individuelle. L’humanité elle perdure.

Le collectif, biologiquement, dépasse l’individu, qui n’a pas la liberté de se soustraire à cette loi biologique.Les libertariens les plus radicaux ont tenté de surmonter la contradiction entre cette individualisme hédoniste devant s’imposer à tout le reste et notre condition biologique nous imposant au contraire le collectif en inventant la théorie de la condition humaine égoïste et psychopathe par nature. La version la plus raisonnable est celle de „l‘homo economicus“ et toutes les théories sur les anticipations raisonnables, la version extrême Ayn Rand et sa vision psychotique du genre humain.

Or, TOUTES les recherches scientifiques en anthropologie, en préhistoire, en histoire biologique des comportements, démontrent que la nature même de la vie, de sa perpétuation, c’est l’empathie, la solidarité, la collaboration, la capacité collective à surmonter les crises à répétition inhérente à notre condition biologique.Le libéralisme proclame en opposition à notre réalité biologique la supériorité de la liberté individuelle sur tout système de contrainte collective. Par un fait de nature quasi mystique – main invisible, loi de l’offre et de la demande, loi du marché, le prix comme source d’information parfaite, les anticipations rationnelles et autres mécanismes non démontrables dans l’histoire des hommes – un véritable “Deus ex Machina” – une construction mécanique artificielle créant l’illusion sur une scène de théâtre qu’un dieu enlève le pécheur Don Juan pour le punir, devenu une expression pour désigner quelque phénomène miraculeux sorti de nulle part – la contradiction entre l’égoïsme de la liberté individuelle et la nécessité collective se résoudraient – pschitt, « et voilà » (en allemand dans le texte), un équilibre parfait.

Le socialisme historique, celui qui est en partie à l’origine de la commune de Paris de 1791-94, de la Révolution française et de l’invention de notre République, croit fondamentalement que la condition de notre liberté c’est la solidarité, c’est le fonctionnement d’une société fraternelle, où l’égalité des droits garantit le respect des libertés individuelles. Dans cette vision, qui rétablit la notion d’une nature collective de notre condition, il y a des similitudes avec les idéologies passées, celles qui ont fondées les grandes civilisations. Toutes ont inventé à un moment la loi, beaucoup ont inventées indépendamment l’écriture pour permettre la collaboration et la transmission des informations. Bien avant l’apparition de systèmes d’échanges fondés sur des logiques de marchés avec des prix il existe déjà des sociétés urbaines, avec des textes d’architecture, de religion, de littérature, des traites diplomatiques, des textes de lois civiles, des textes mathématiques, des recettes de cuisine, de médicaments, des proverbes.L’information circule déjà sans le prix, et tout ensemble humain se définit comme un ensemble et non comme l’addition d’individus dont la somme des actions aboutirait à un équilibre magique.

Le socialisme républicain français naît politiquement entre 1790 et 1800. Il est pourchassé sans pitié des 1794, 1795, et brisé en 1801-1802. Il lui faudra 25 ans pour renaître. Il existe une pensée réactionnaire socialiste. C’est celle au cœur des doctrines sociales des diverses religions de ce monde. Les trois religions du livre ont ici énormément de points communs, qui empruntent d’ailleurs aux mythes, traditions et règles d’une civilisation oubliée pendant 2000 ans, celle qui se crée entre Anatolie et Mésopotamie avec l’agriculture des céréales. Ses origines ont 9000 ans et l’invention de l’écriture seulement 5300. On est loin déjà cependant des listes de rois de l’ancien testament, figure de style d’ailleurs empruntée aux Sumériens, et que recréèrent les Égyptiens.

Cette diversion « philologique » pour arriver à cela : il existe aussi à gauche un courant de pensée individualiste libéral, qui se méfie des organisations collectives tout en prétendant vouloir mettre fin à l’exploitation des grands nombres par des élites peu nombreuses. Anarchistes et libertariens ont irrigués les réflexions de courants socialiberaux persuadés que la synthèse était possible entre la définition individualiste, psychopathe, de l’individu, et celle solidaire, totalitaire, de la société. Cette synthèse est un échec, une chimère, un délire. Les humains qui nous précèdent ont écrits en sumérien, en akkadien, en hittite, en égyptien, en démotique, en grec, en latin, en chinois, en sanskrit, en Olmeque, en malien, en numide etc…

Beaucoup se sont posés les questions qui nous occupent et ont bien défini que la décadence d’un système est inclus dans le système lui-même, et que tous les systèmes ont leur version ordonnées, et celles désordonnées. L’action des hommes consiste à accélérer notre pas lorsque nous traversons un désordre pour retrouver le chemin d’un ordre social, collectif, stable et garantissant nos sécurités biologiques. Une fois celles-ci rétablies, nous engageons le chemin des sécurités morales et spirituelles, des libertés sociales et collectives, puis individuelles, des partages par la loi des richesses et des droits, du maintien des devoirs.Un déséquilibre se produit – et le chemin de la vie c’est le déséquilibre – et le cycle se produit. Notre rôle est de garantir la conscience de la dignité humaine et vivante dans chacune des phases, pour ne pas laisser les pulsions du chaos les plus sanglantes prendre le pas.

C’est le sens des cosmogonies des premières écritures : la lutte entre l’ordre et le chaos, le « mal et le bien » comme le traduira imparfaitement une religion dominante en Occident, est celui de la conscience des droits et devoirs collectifs face à la tyrannie des désirs et jouissances individuelles Le virus Covid nous rappelle donc à notre condition biologique, et remets un élément de chaos dans un monde que nos libéraux prétendaient ordonnés grâce à libération des énergies individuelles, et l’organisation rationnelle de la « destruction créatrice », et offrant la version du « c’est mieux que si c’était pire » optimale.

Que cet ordre soit destructeur du vivant, avec, depuis seulement dix ans, c’est à dire depuis les réponses à la dernière crise endogène, la crise financière, la plus grande disparition d’espèces depuis les pires collisions de météorites ou explosions volcaniques, et, en exacerbant les inégalités, producteur de révoltes violentes et de répressions liberticides, n’empêchaient pas les doctes théoriciens libéraux de se féliciter pour l’excellence de leur modèle.Le libéralisme et ses oripeaux – version ordoliberale qui corrige l’individualisme de moralisme protestant pour établir un ordre du devoir collectif supérieur au plaisir du propriétaire, version naïve du libéralisme français transformé en liquidateur des richesses de la Nation pour une élite corrompue et incestueuse prête à liquider république et libertés collectives, version nationale libérale de Johnson ou Trump définissant des boucs émissaires et des actes de puissance pour protéger les intérêts particuliers de certains financiers – est une doctrine d’équilibre par beau temps.

Ah qu’il serait bon en théorie que rien ne change. Lorsque les rois de l’île de Pâques ont subordonné l’intérêt collectif d’un écosystème limité à la satisfaction de leurs désirs egotiques d’immortalité, ils ont mené leurs populations à l’extinction pure et simple. La construction et l’acheminement des statues ont détruit la base même de ce qui rendait l’île vivable : la forêt.

Un philosophe ancien avait défini 6 régimes politiques possibles, et cru déceler dans le cours de l’histoire leur alternance en passant par leurs 6 phases décadentes respectives. La version de Polybe est sans doute plus intéressante que celle de Platon, pour celles et ceux se demandant quel auteur j’ai en tête.

L’apport de l’histoire matérielle et économique permet de comprendre qu’il ne s’agit pas de cycles : nous avons collectivement des choix possibles, et nous pouvons éviter des régimes si nous le souhaitons.Personne ne peut éviter son propre destin biologique. C’est pourquoi notre premier devoir est de permettre la continuation collective d’une aventure humaine solidaire, digne, et respectueuse du vivant.

Cela passe sans doute par l’opposition inéluctable et violente avec les tenants d’une humanité fractionnée en individus et communautés irréconciliables. Il n’y a pas plus authentiquement “wokiste” d’après sa propre définition que Zemmour.République solidaire, c’est à dire démocratie, ou Ochlocratie en attente de l’homme providentiel pour refonder la tyrannie monarchique ?

C’est à nous de définir ce que nous voulons.Ce virus n’est pas le seul facteur de chaos dans l’histoire humaine. Athènes tombe de la démocratie à l’ochlocratie, et perds la guerre, suite à une “peste” qui semble avoir été en réalité un coronavirus. Le “hoquet” que décrivent les contemporains seraient en réalité les quintes de toux.

Un système d’organisation collective qui exclue le chaos de ses modèles est un système éloigné au possible de la vie. C’est la mort.

Il est temps de retrouver le chemin collectif et solidaire. Les Républicains, avant d’être tortures et mutiles vivants par les Chouans, criaient “la liberté ou la mort”, car ils avaient compris que la liberté est un bien collectif, une cause commune, et non individuelle, et non religieuse.Ni dieu, ni maître fut un cri républicain au nom de l’ordre collectif et solidaire que devait offrir la République.

Et finalement, tout est toujours une question de vie ou de mort. Le libéralisme, autocratique ou libertarien, c’est la mort.

La solidarité, c’est la vie.