La croisée des chemins
Il paraît que le capitalisme de marché libre et de concurrence non faussée garantit en toute circonstance l’allocation optimale des ressources.
On en a une preuve éclatante avec la lutte contre une pandémie mondiale: alors que l’on connaît très bien, par l’analyse historique et biologique, les forces et dynamiques moléculaires, virales et humaines à l’œuvre, nous échouons.
90% des vaccins ont été concentrés sur la population la plus riche et âgée de l’Humanite vivante.
Les variants les plus agressifs naissent dans les réservoirs de population certes plus jeunes, mais non vaccinés, pauvres.
Les pays riches dépendant du commerce international pour le revenu de leurs plus riches et leur confort, et des migrations internationales de personnels très qualifiés mais pas chers pour travailler dans leur système de santé, dans les hospices et les mouroirs qui servent de retraite, c’est à dire de retrait de la vie visible des plus vieux, vont maintenir le plus longtemps possible la liberté de circulation des marchandises, des capitaux et des professionnels nécessaires à ces transports. Dans toutes les vagues que nous avons vécu, ce sont ces mouvements – et non les mouvements des pauvres tentant clandestinement d’échapper à la guerre et la faim – qui ont garanti la circulation maximale des variants viraux.

Nous sommes en novembre 2021.
En novembre 2019, nous apprenions l’existence du Covid 19. Nous devions voir la Chine confiner quasi militairement des villes de 60 millions d’habitants – Wuhan et sa banlieue, c’est aussi peuplé que la France – incrédules. En février, les premiers foyers d’infection étaient identifiés : touristes chinois, cadres occidentaux revenant de Chine, professionnels du transport, bateaux de croisière. Ce n’est que mi mars que ces gouvernements décidèrent de briser la première vague épidémique en arrêtant bateaux, avions, trains, camions, en fermant les frontières. Ayant si longtemps procrastinés, ils avaient perdu le contrôle épidémique à l’intérieur des frontières.
Nous fûmes tous appelés à une retraite intérieure.
Depuis, régulièrement, un variant apparaît, les occidentaux procrastinent, le variant se répands en sautant les frontières, empêche toute quarantaine efficace, provoque confinements et décès.
Le vaccin parut enfin: le rationalisme et l’universalisme, deux idées des Lumières, permettaient de comprendre qu’au vue d’un virus il ny à pas de différence de race ou de langue ou de religion. Une molécule et un Spike sont des vérités universelles, la réponse immunitaire est la même que l’on soit chrétien ou musulman. Et ce que l’on souhaite obtenir, la prolongation de la vie, est un désir sans frontière, au cœur même de notre condition mortelle.
Le capitalisme décida que le vaccin devait se concentrer dans les classes riches des pays riches – la carte sociale des vaccins commence par un taux vaccinal maximum dans les beaux quartiers, le 7eme arrondissement de Paris atteignant une immunité théorique des mai 2021, alors que les cités ouvrières de Lyon étaient encore à 30% en août – puis dans les pays riches. Incapables de mener les politiques d’éradication du virus hors le vaccin car ne souhaitant pas gener le taux de profit de leurs plus riches citoyens, les pays riches concentrèrent l’achat des doses, qui, marché libre, allaient au plus offrant.
Aujourd’hui, le variant le plus agressif est identifié en Afrique du Sud, au Bothswana. Il est né là où le taux de vaccination n’atteint pas 15% de la population. Nous sommes en novembre 2021.
Faudra t-il attendre mars 2022 avant de voir les mesures nécessaires contre les contaminations virales être prises?

Levée des brevets et production sur tous les continents des vaccins, fermeture sanitaire et contrôle sanitaire de tous les entrants aux frontières, mesures de distanciation physique et masques, aération des salles fermées, isolation des gens en hôtels réquisitionnés pour éviter les chaînes de transmission familiales, l’effort à faire dépasse largement ce que les écoles de gestion publique et de management privé enseignent, ce que la loi du marché prédit, ce que le capitalisme conçoit.
La Covid est un test à court terme de la résilience du capitalisme face à une crise dépassant l’horizon des modèles économiques par beau temps. En théorie, il est possible de faire le tour du monde en optimiste. En pratique, les vagues monstrueuses de 40 metres existent et ont déjà coulées des porte conteneurs géants.
Tout ce que nous y apprenons devrait nous aider à penser la crise climatique.
La peste de 1348-51 frappe une Europe prospère, où apparaissait les prémices d’une révolution industrielle, où un foisonnement intellectuel est gage d’innovation et de progrès. En emportant un tiers des habitants, la peste va créer les stéréotypes sur le moyen âge arrière, où le féodalisme renaît, où pudibonderie religieuse et loi du plus fort ajoutent à la pandémie la guerre, l’esclavage, l’oppression.

Nous arrivons à une croisée des chemins : féodalisme ou humanisme, capitalisme ou solidarité, oppression ou liberté, guerre ou paix.
