Droit et non recours
En Grande Bretagne, une anecdote illustre la difficulté des politiques publiques en idéologie libérale des comportements humains.
Plus de 4 millions d’enfants vivent dans la pauvreté dans ce pays.
Si le nombre de britanniques recourant aux distributions alimentaires des services du type secours populaire a explosé depuis la crise de 2008, et surtout à partir de 2011, si la question de la pauvreté monétaire progresse, entre contrats de travail de moins en moins rémunérateurs et hausse des prix du logement, du transport, et si cette crise sociale a en partie conduit au vote anti système du Brexit, le gouvernement Johnston n’a pas comme priorité “la fracture sociale” pour parler comme un célèbre tartuffe français élu président autrefois sur ce thème.
Un dispositif de distribution de bons alimentaires a été mis en place cependant pour les enfants, pour que la Grande Bretagne évite le retour des maladies de la malnutrition infantile.
Et bien d’après les première études, depuis sa mise en place, plus de 40% des ayants droits ne l’ont pas demandé.
C’est une star du football anglais, lui-même issu des classes populaires pauvres, Rashford, qui lance un programme de communication et d’enrôlement autour de ce programme social dans les quartiers. Il précise : “j’ai grandi dans une de ces communautés où il n’y a pas d’internet, pas de grande rue commerciale, pas de bouche à oreille”.
Nous n’évoquerons pas le fait que Rashford, beaucoup moins payé qu’une star argentine du football, a consacré autant en dons pour des œuvres sociales que l’autre en amende pour fraude fiscale.
Mais le point important c’est celui-là : 40% des ayants droits n’ont pas recours à une prestation relativement simple à obtenir, un bon alimentaire hebdomadaire d’une valeur de 5 euros.
Et ce, non suite à une décision consciente, raisonnée et informée, mais par un mélange de découragement à priori, d’ignorance, et de méfiance.
N’oublions pas que le gouvernement conservateur, sous May, avec un personnel présent dans le cabinet Johnson, a mené des campagnes d’expulsions illégales d’habitants des quartiers pauvres, ouvriers invités il y a 40 à 20 ans à venir travailler depuis la Jamaique et autres anciennes colonies dans les Caraïbes, certains entre temps naturalisés. Cela n’aide pas à faire confiance…
En France on estime à 35% les ayants droits ne recourant pas aux aides légitimes disponibles. Le montant des aides sociales légitimes non réclamées dépasse par un facteur 4 à 5 le montant supposé des fraudes à ces mêmes aides sociales.
Parfois, une personne est jugée “fraudeuse”, souvent pour avoir demandé une aide par erreur, mais en même temps n’a pas recours aux aides légitimes disponibles.
Un sondage de novembre 2017 réalisé par le secours catholique avait même relevé que 49% des interrogés éligibles à un dispositif ignoraient l’être, et 34% ne touchaient rien du tout alors qu’ils étaient éligibles à plus d’un programme.
Le rapport de mai 2020 de la Drees souligne : “En 2018, le taux de non-recours aux aides sociales en matière de santé restait important : entre 32% et 44% pour la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de 53% à 67% pour l’aide au paiement de la complémentaire santé (ACS).”
C’est à dire que les classes populaires negligent en premier lieu les aides et programmes publiques concernant leur santé.
Le non recours aux prestations sociales et familiales est plus faible, mais reste à 8% très important en montant non réclamés.

Contrairement aux clichés de l’extrême droite, à l’idéologie du contrôle social du pauvre des libéraux, les classes populaires ne sont pas parfaitement informées, ne prennent pas des décisions basées sur des anticipations rationnelles, et ne fonctionnent pas selon les règles d’une société en “libre service” connectée.
Ces réalités sociales et culturelles sont au cœur, normalement, des politiques globales de santé publique. Là où l’économiste pense qu’il suffit d’offrir gratuitement une prestation médicale pour que la demande s’en empare, l’anthropologue, le sociologue, le moraliste, l’élu de terrain, le religieux, savent que les ressorts de l’âme sont plus complexes, tant pour un individu que pour un groupe d’individu.
Il est nécessaire de faire des compromis, d’identifier les relais de confiance, les gagner à la cause, et de créer des incitations en plus du travail proactif, de terrain, de contact.
Il faut en quelque sorte tous les jours, que ce soit en politique sociale, en politique sanitaire, en politique de sécurité publique, “évangéliser”.
Pour aller plus loin, deux articles spécifiques sur la crise pandémique conçu par votre serviteur et repris et enrichi par le site de la GRS: