Gouverner, ce n’est pas prédire, c’est prévoir.

octobre 12, 2020 0 Par Mathias Weidenberg

En 2012, l’année où Hollande, conseillé en matière économique par Cahuzac et Macron, avec Moscovici et Sapin en locomotives politiques, mène une campagne électorale victorieuse sur « la réforme fiscale », le Kansas mets en œuvre une grande réforme de sa fiscalité.
Tous les impôts sur le patrimoine, sur les plus riches, sur le revenu des plus bourgeois, sont massivement réduits en vue d’un « choc de compétitivité » à l’intérieur de l’espace de marché unique que constitue les États Unis.
En 2014, Macron est devenu ministre, Hollande a fait mettre en place une grande réforme fiscale, mais pas celle escomptée. Si l’ISF est présente, il fait aussi voter le CICE, qui va transmettre, c’est le résultat de l’étude d’évaluation officielle, 90 milliards d’impôts vers le paiement de dividendes, et contribuer au quadruplement de la fortune des milliardaires français.
Cahuzac a dû partir pour fraude fiscale. Macron est lui-même d’ailleurs en délicatesse avec son propre ministère, refusant de s’acquitter un temps de son ISF. Cazeneuve a fait un passage au budget, il y défendra la non conditionnalite et l’absence de contrôle du CICE devant les parlementaires, réservant ses mots les plus durs à des députés de son propre parti.
C’est le nouvel cursus honorum des répressifs et des matraqueurs : ministre du budget, ministre de l’intérieur, premier ministre. Valls aura évité le budget, mais Darmanin peut continuer à rêver. On mate le sens du service public en l’étouffant budgétairement, policierement, politiquement.

C’est alors que l’organisme en charge de l’évaluation des politiques publiques aux États Unis rends le rapport en photo ci-joint. C’est un massacre du type de politique fiscale favorisant les riches.
Le Kansas a vu son budget entrer dans une spirale déficitaire insoluble. « L’attractivité fiscale » n’a pas été au rendez-vous, ni l’investissement. Par contre, les plus riches du Kansas sont devenus encore plus riches.

Les politiques fiscales de l’offre, un désastre au Kansas

En 2017, Macron vainqueur, avec des conseillers économiques comme Pisany-Ferri ou Aghion, avec Tirole et Cahuc, avec les ministres Le Maire et Darmanin, s’empresse d’imiter le Kansas de 2012, sans tenir compte d’ailleurs des rapports d’évaluation ne trouvant aucun résultat mesurable au CICE publiés des 2016, ou 2017, ou autres mesures fiscales « de l’offre (des riches) » du quinquennat précédent.
Il supprime l’ISF qu’il eut tant de peine à régulariser pour lui-même, et d’autres impôts sur le patrimoine. Il pérennise le CICE.
En 2020, malgré les rapports qui s’accumulent sur l’inefficacité totale de ces mesures fiscales quant aux objectifs annoncés, il souhaite consacrer la moitié de son plan de relance à leur approfondissement.
Au même moment, une étude privée, internationale, de PWC constate l’extrême augmentation de la richesse des plus riches francais, deux rapports d’évaluation publique démontrent le lien entre politique fiscale et enrichissement des riches, entre abandon de l’ISF et augmentation des patrimoines, sur le fond d’augmentation par ailleurs de la pauvreté, et, comme les insécurités et la crise pandémique les révèlent, de déliquescence de l’Etat.

Je veux bien que l’on m’accuse d’être de parti pris.
Traitez moi, moi le cadre dirigeant du privé payé en stock, de communiste.
Mais les pragmatiques devraient quand même à un moment se confronter aux faits. Et reconnaître avoir été aveugles par une idéologie, au service d’une extrême minorité égoïste et cupide.

Ou alors, où sont les rapports de victoire quant à ces politiques fiscales?
Serais-je aveuglé au point de ne pas lire les bons rapports?

J’ai lu tous les rapports en la matière du privé, du COE Rexecode : lui aussi peine, malgré tous ses efforts, à trouver des conséquences positives.

Montrez moi non pas un rapport de prospective, mais un seul rapport démontrant par les faits accumulés un lien positif entre ce type de mesure fiscale et le bien commun.

« Attendez, c’est trop tôt, ça prends du temps » : le Covid nous rappelle qu’aucune politique visant un temps supérieur à deux ans en la matière n’est réaliste et pragmatique.
Soit l’efficacité est mesurable en deux ans, soit ce sont des investissements structurants (et la politique fiscale dont on parle n’est ni de l’investissement, ni structurant) sur 30 ans.
Construire un canal, des barrages, une centrale, un tunnel sous la manche, prends 30 ans. On y arrive même en cas de changement de régime, de guerres, de pandémie.
Même l’aéroport de Berlin sera inauguré en novembre après 9 ans de retard et 24 ans depuis la décision. C’est dire…

Attendre des résultats à 5,10 ans d’une politique fiscale est absurde, ou idéologique, lorsque le cycle des événements humains lui est inférieur à 5 ans.
« On pouvait pas prévoir le Covid »

– oui, mais toutes les décennies connaissent des événements imprévisibles.
Je ne pense pas que le Fabius de la rigueur en 1985 prévoyait la chute du mur en 1989. C’est l’espace nous séparant aujourd’hui du lancement d’En Marche.
Est-ce que Rocard en 1988 pouvait prévoir l’invasion du Koweït en 1990 et de l’Irak en 1991?
Est-ce que Juppé en 95 prévoyait Jospin en 97? Est-ce que Jospin en 97 prévoyait le 9 septembre 2001? Pensez vous que le crash des startups en 2002 faisait partie du programme Chirac de la même année, ou que Sarkozy en 2007 prévoyait le crash financier de 2008, la guerre en Lybie en 2011, et le terrorisme islamiste dès son quinquennat de retour sur notre sol après 1993-95?
Hollande prévoyait il l’année 2015? Le crash des prix du pétrole de la même année ? L’élection de Trump en 2016?

Gouverner, ce n’est pas prédire, c’est prévoir.
La prévoyance, c’est preparer l’Etat et la Nation à l’imprévisible. C’est faire en sorte que les services publics soient non à flux tendus par beau temps, mais prêts à affronter les crises d’où qu’elles viennent.
Ces gens ont été par myopie intellectuelle à la fois arrogants, se croyant maîtres du temps, et imprévoyants.

Les 90 milliards du CICE, les dizaines de milliards de l’ISF et des impôts patrimoniaux manquent cruellement en crise mondiale pandémique et récession globale.
Quel aveuglement criminel.