Le Rossbach des économistes allemands
Malgré l’inondation de liquidités en cours, un plan de relance massif avec de nombreux dispositifs de soutien de la demande et du pouvoir d’achat, incluant une réduction de la TVA, l’Allemagne est en … déflation pour le second mois consécutif (indice des prix -0,2%).Des centaines d’économistes allemands, désespérés, courent la campagne tels Soubise à Rossbach, criant « mais où est donc mon hyperinflation? »
« Soubise dit, la lanterne à la main :
J’ai beau chercher, où diable est mon armée ?
Elle était là pourtant hier matin.
Me l’a-t-on prise ou l’aurais-je égarée ?
Prodige heureux ! La voilà, la voilà !
Ô ciel ! Que mon âme est ravie !
Mais non, qu’est-ce donc que cela ?
Ma foi, c’est l’armée ennemie. »

Où est donc mon hyperinflation?
Mise à jour de mars 2022
L’inflation a commencée pendant la pandémie AVANT les augmentations nominales de salaire dans la plupart des économies occidentales.
L’institut statistique allemand d’ailleurs constate que les salaires réels, malgré de fortes augmentations nominales en fin d’année, ont baissés en 2021.
Le niveau de liquidité injectée dans les marchés financiers n’a pas véritablement augmenté en 2021 comparé a 2019 ou 2020. Si le niveau des „Quantative Easing“ avait une influence sur l’inflation actuelle, celle-ci ne serait pas entre 3 et 5% mais, entre 30 et 500%.
De plus, les indicateurs d’une transmission de l’inflation financière à l’inflation réelle ne se retrouvent pas : l’investissement n’a pas connu une poussée telle qu’elle expliquerai une „surchauffe de la demande“.
L’inflation a commencé lorsque le déréglement de la chaîne logistique a entraîné des pénuries tant de matières premières que de composants relativement standards, mais indispensables. C’est le prix des „commodites“ et des matières premières qui est parti à la hausse dans un contexte non de demande renforcée, mais d’effondrement de la production.
La pandémie a bien sûr déséquilibré la chaîne logistique, mais il y a aussi des pénuries de matières premières plus structurelles, et plus directement liées au fonctionnement du capitalisme contemporain, qui gaspille énormément d’énergie pour produire et transporter, entraînant une baisse continue des rendements physiques, avant même celui du taux de profit.
Les bassins à céréales du monde enregistrent des baisses de rendement. On produit moins de vin, d’alcool, or l’alcool est aussi nécessaire dans des processus chimiques industriels. Le pétrole reconnaît une nouvelle crise de son prix. L’acheminement de terres rares et la production de composants électroniques a entraîné des ralentissements de chaîne de production entière.
L’inflation que nous connaissons n’est pas la conséquence d’une hausse de la demande, d’un afflux de monnaie, mais d’une réduction de l’offre, d’une baisse pourtant pas si brutale, mais aux effets de l’aile du papillon, de la production.
Mais les orthodoxes au pouvoir veulent d’abord sauver leurs modèles théoriques et leurs idéologies, sources de rétribution financière et reconnaissance symbolique, d’accès à l’influence politique.
Alors certains mettent en garde contre la quantité de monnaie où les salaires.
Rappelons qu’en 2021, en pleine renaissance de l’inflation, les patrimoines des plus riches, c’est à dire l’indicateur d’accumulation du capital, ont connu une acceleration phénoménale.
Or, le capital sans travail ne crée pas de profit. Au contraire, il perds de la valeur.
C’est exactement ce qu’il est en train de se passer : avec des taux d’intérêts proches de zéro, et une inflation entre 3 et 5%, avoir un capital inemployé coûte de l’argent.
La théorie marxiste de la valeur trouve ici une surprenante confirmation.
La crise de la production fait suite à 40 ans de révolution néolibérale où les politiques fiscales et sociales ont été réorientées vers l’offre, et ceux qui possèdent le capital.
Les crises systémiques, sur la période, n’ont cessé de se multiplier en grandissant – 1992 avec une crise du crédit immobilier aux États Unis, 1998 en Amérique latine et Asie, 2001 la bulle des Startup, 2008 la crise financière et immobilière, 2011 la crise de la dette publique européenne renforcée par le traité Merkozy en 2012 et 2013, la crise pandémique depuis 2020 qui a accéléré les tendances récessives de la fin 2019.
L’inflation actuelle ne pourra être combattue avec les instruments classiques, monétaires. Il va falloir réorganiser entièrement la production, raccourcir les circuits, doubler les chaînes de production, comme en informatique on double les serveurs dans des continents différents pour garantir la sécurité des systèmes d’information, comme on crée des serveurs dans les pays consommateurs pour conserver les données dans l’espace légal.
Ce débat est quasiment absent de la présidentielle française. C’est l’indice d’une maladie mortelle de notre démocratie.
Pourtant, même la guerre possible, en Ukraine ou à Taïwan, se comprends dès lors que l’inflation actuelle n’est pas une crise de surchauffe de la demande.
L’explosion de la logistique globalisée oblige à reconstruire des zones d’influence économiques, et donc politiques, plus concentrées. Les États Unis y ont apparemment le plus à perdre – en même temps, c’est le pays à la plus forte dette, tant publique que privée. Une forte inflation lui permettra de réduire sa dette. La Chine, créancier mondial, est en fait le pays ayant le plus à perdre dans l’affaire. Il n’est donc pas question pour la Chine d’accepter une telle déprédation de ses actifs. La Russie quant à elle veut conserver l’accès au grenier à blé ukrainien, mais aussi bien faire comprendre aux États Unis que ce n’est pas avec eux qu’il faut chercher une guerre. La Chine va sans doute se tourner rapidement vers Taïwan, profitant de la diversion ukrainienne.
La crise pandémique n’a pas en soi fait exploser la globalisation. Elle a révélé, en les accélérant, les contradictions qui dès 2019 ralentissaient l’économie mondiale.
L’histoire humaine nous enseigne qu’en ces moments de crise globale, il est rare qu’un État ne cherche pas a résoudre ces contradictions dans l’aventure extérieure.
Or là, le niveau des contradictions a rarement été aussi élevé, dans une crise de production aussi proche des scénarios de fin du capitalisme.
En lisant aujourd’hui Jacques Ellul, je me disais finalement qu’il avait eu beaucoup d’intuitions très justes dans „Changer la Révolution“.
