Le communautarisme, allié du capitalisme

août 25, 2020 0 Par Mathias Weidenberg

Le triomphe de la raison stupide étant inéluctable, il a bien sûr enserré les intellectuels et les acteurs de ce qui aurait du être l’avant garde de l’émancipation humaine.

Les classes dominantes ayant liquidé le socialisme avec une réussite absolue, il leur reste encore, pour retrouver les entre-soi qui faisaient le charme des « guerres en dentelles » du XVIIIeme, lorsque les conflits militaires à coup de vies de pauvres gens arbitraient les différends commerciaux, à mettre fin à cet insupportable universalisme, qui prétends, en proclamant l’égalité de tous les humains, fonder ce régime si perturbant de la démocratie, et contester, pour le pauvre hère, la consolation d’une récompense dans l’au delà, pour en réclamer une ici-bas.

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Par chance, la mort honteuse du socialisme a aussi enterré des idées et des réalités antérieures à son invention, la conscience de la lutte des classes, et celle de sa propre classe. Du moins, les classes dominantes, toutes percluse de contradictions et d’oppositions entre elles, n’ont pas perdues de vue leur propre existence. Mais elles ont sues, à coup d’amalgames sophistes et de pirouettes théologiques, éteindre les feux du rationalisme universaliste.

Alors, ce qui aurait dû être avant-garde s’est muée en arrière garde, et, tels les gendarmes poussant les poilus récalcitrants dans les tranchées, une théorie de penseurs, de mobilisateurs, d’acteurs, font leurs les projections idéologiques de ceux qui les exploitent.

« Il n’y a pas de classes sociales voyons, il n’y a qu’un conflit de races, de cultures, de religion! Et nous, les opprimés, nous ne le sommes pas parce que certains s’enrichissent de notre travail, mais parce que nous ne sommes pas blancs, nous sommes musulmans, chrétiens ou témoins de Jehovah, parce que nous sommes différents en genre, sexe, orientation, parce que nous sommes depuis toujours racialises et communautarises. Notre solution, c’est de refuser le rationalisme universaliste de l’homme hétérosexuel blanc, de défendre nos intérêts au sein de nos communautés, et par là même, de refuser la liberté à chacun de se définir autrement que comme membre de la communauté de référence. »

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Ce débat entraîne des conflits sans fin pour définir ce qu’est le non blanc, le non masculin, le non heterosexuel, le non dominant sans jamais chercher à percer le fonctionnement réel des sociétés capitalistes contemporaines.

Ainsi, le riche, qu’il soit blanc ou saoudien, chinois ou nigérian, est tranquille. Qu’il vive sa sexualité dans le secret des antichambres, agnostique tenant pourtant sans faille les rôles des cérémonies religieuses de son milieu, le riche est le seul à pouvoir s’affranchir et s’émanciper. Et c’est bien là le but.

L’ouvrier ne sera pas ouvrier. Il sera arabe, immigre, suspect parce que musulman, coupable parce que noir. L’ouvrier blanc sera rejeté dans le camp des dominants, le poussant, voyant bien qu’il est opprimé, à vouloir réclamer sa part de domination.

L’intellectuel marxiste ira au secours de tous ces vaillants courants de pensée au nom de l’humilité nécessaire du marxisme face à son échec historique, et donc, par un vaillant retournement conceptuel, son adhésion au révisionnisme racialiste le plus obtus.

L’intellectuel laïc qui ne souhaite pas toucher à l’ordre social car il aime avant tout l’ordre trouvera dans ces bouleversements niant les classes sociales et culturelles nées du système économique le terreau d’insécurités culturelles justifiant la mise à l’index de l’humanité d’une religion plutôt qu’une autre.

Tout cela est stérile et vain.

Un ouvrier est-allemand empilant les contrats précaires entre Cottbus et Chemnitz a bien plus en commun avec l’ouvrier français de troisième génération empilant les contrats précaires entre Dunkerque et Hénin Beaumont qu’avec le cadre dirigeant bancaire de Francfort inquiet des taux négatifs pour son épargne liquide. Pourtant, le premier et le troisième voteront ensemble AfD pendant que le second écoutera Tariq Ramadan ou pire et se désintéressera de la politique partisane, hors clientélisme municipal.

Les déclarations de personnalités médiatisées parce que favorisant ces évolutions stupides et utiles seront chaleureusement mises en lumière par des médias propriétés de grands industriels, et répercutés dans les moindres détails de leurs immondes relents par les réseaux sociaux de grands industriels.

Tous ces débats justifient le communautarisme, et s’accompagnent de destruction des instruments du bien commun, du vivre ensemble, poussant, par réflexe de survie, à se réfugier dans la communauté. À ce titre, la révolte des Gilets Jaunes fut à la fois effrayante et inacceptable, parce qu’elle était une révolte de classe sociale. Il fallut donc la racialiser en « petits blancs racistes » pour la rendre compatible avec la nouvelle division du peuple par les dominants.

L’universalisme rationaliste est intransigeant, car il ne fait aucune exception à la dignité humaine, et n’accepte pas comme vérité le mensonge, même théologique, même conspirationiste, même politicienne.

Les évangélistes intégristes ont décidé que la providence divine ne pouvait punir ceux qu’elle a élevé socialement. La perspective d’une apocalypse écologique qui ne serait pas l’émanation d’une intervention divine est donc sacrilège. Les dirigeants refusant les logiques punitives pour les classes dominantes seront donc magnifiés comme expression de la vraie volonté divine. Trump ou Bolsonaro empêchent le sacrilège d’un réchauffement lié à l’homme, car l’homme ne peut décider se son destin, et la foi sauve et protège. C’est donc logique de refuser les vérités scientifiques qui contrediraient l’idée d’un grand dessein divin. À ce titre, la domination prendra les formes d’oppressions communautaires – les hispaniques, les musulmans, les indigènes d’Amazonie, les noirs des favélas. Celles ci renforcent les défenses communautaires. Elles créent des réalités nouvelles qui peuvent être moteurs historiques.

Tant que l’émancipation ne sera pas universaliste, et refusera pas superstitions et ethnicismes, elle ne libèrera pas. Elle enfermera de nouveau celui qui croit s’émanciper.

Chacun naît là, et doit faire avec ce là. Un enfant né à Gaza ou à West Palm Beach, au Gujarat ou à Genève, doit faire face à ce que cela signifie à chaque fois. C’est le combat individuel, chacun doit vivre sa vie dans toutes ses conséquences jusqu’à sa fin. Mais il n’y a pas un ordre de domination autre que celui des structures économiques, qui projettent leur ordre symbolique, culturel, psychologique, politique.

Mais le socialisme est liquidé. On le sait, la révolution française est l’ancêtre du nazisme, selon ces nouveaux maîtres de la révolte utile aux maîtres. L’idée même de révolte est morte : on agit non pour se révolter, mais pour délimiter des espaces de dominations subalternes.

La libération n’est donc plus un objet à penser. C’est le reliquat de vieilles lubies.

La question n’est plus « ni dieu, ni maître, la liberté ou la mort », mais « quel dieu, quel maître, libérez moi de la liberté, enchaînez moi, que ma vie trouve au moins le sens des chaînes que je porte. »

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