La guerre de la patate
Les conditions de production et d’échange des deux besoins primaires de l’humanité, l’alimentation et le logement, déterminent ce qui sera défini comme „richesses“ et dès lors, le type de société, de système de valeurs, de civilisation.
Alors que la sécheresse fait s’effondrer les rendements agricoles dans les régions tempérées, alors que les gains à court terme obtenus en détruisant des forêts tropicales ne compensent pas les pertes à long terme de l’assèchement des territoires déboisés, on entends toujours les élites néolibérales vanter le marché, les énergies vives, et parmi ces élites, celles se définissant comme écologiste, ajouter que la loi du marché doit reconnaître certaines valeurs morales, individuelles et non collectives.
On a ici la répétition du dialogue entre libéraux radicaux et chrétiens libéraux des années 1830.
Ils se sont entendus en 1848 pour tuer les ouvriers affamés et les priver de république, puis en 1871 les tuer de nouveau et d’organiser pour eux mêmes les premières années d’une nouvelle république.

En 2020, l’épisode décrit par Marianne ci-dessous illustre l’absurdité d’une loi du marché et d’un libre échange debride appliqué aux productions agricoles.
La loi du marché favorise la production chimiquement soutenue de patates hollandaises acheminées par camion sur la production durable de patates locales dans le Nord de la France, les producteurs de patates bataves étant intégrés dans de grands groupes – avec ouvriers agricoles „détachés“ de pays pauvres de l‘Union, c’est la nouvelle variante de la colonisation pour réduire les coûts de la main d’œuvre et empêcher les revendications sociales – et les nordistes plutôt des producteurs indépendants.
Il en est de même pour le logement : alors que même l’année du Coronavirus les loyers en Allemagne ont progressé de 3% en moyenne, bien plus que l’inflation ou la progression des salaires, les énormes liquidités accumulées en Allemagne alimentent la production de logements de luxe, de vacance, et non destinés aux classes populaires et moyennes. L‘Etat s’interdit d’ailleurs de mobiliser ces liquidités par l’impôt ou l’emprunt pour lui même investir dans un parc immobilier social et durable, laissant les productions actuelles se faire sans grand souci de leur impact urbain ou écologique.
Le logement ne cesse de prendre plus de place dans les budgets des salariés. Lorsque le logement est trop cher, on déménage loin du lieu de travail. Il faut ajouter le budget du déplacement contraint. Lorsque l’on veut manger, il y a la faiblesse du choix. La France a choisi de détruire les circuits locaux et régionaux, les épiceries de quartier et les réseaux courts au profit d’un envahissement total de grandes enseignes industrielles de production de l’aliment, de sa transformation et de sa distribution.
Que ce modèle s’accompagne d’une urbanisation des terres agricoles périphériques est logique : le centre ville n’étant plus un lieu d’achat de nourriture et de logement abordable, on va vers des nouveaux quartiers proches des centres commerciaux.
Les sociétés qui découlent de ces modes de production et d’échanges de l’alimentation et du logement sont extrêmement violentes. Elles favorisent une petite classe privilégié, 1% de la population extrêmement, 25% de la Population encadrant le reste modérément, et déclenchent un ensauvagement généralisé.
Dès lors que seul l’individu compte, dès lors que seul la valeur sur le marché de l’individu est pertinente, et que tout est marché, il ne reste plus que l’égoïsme le plus violent. Et pour celui qui n’a pas la violence financière, il reste toujours la physique.
Il y a bien sûr un lien évident entre la violence entre personnes et la violence de cette société du marché.
Il y a une relation consubstantielle entre la loi du marché, la liberté individuelle d’un acteur économique seul valeur persistante, et la destruction des environnements, du climat.
Il y a un effet révélateur immédiat d’ailleurs des chemins des économies de marché et la pandémie actuelle.
Penser dès lors en catégories c’est refuser de penser le monde pour s’abriter derrière des paravents de facilité.
Il n’y a pas la catégorie particulière de la violence interpersonnelle, de la sauvagerie en cours, déconnectée des conditions de production de celle-ci. Si une société crée tant de violences, que des groupes jugent les représentants de l‘Etat illégitimes, et substituent leur violence à celle ci, c’est, à proprement parler, d’une forme de retour aux féodalismes.
Il est d’ailleurs logique que certains pouvoirs politiques et économiques aient privilégié la corruption de ces groupes violents au profit de leurs intérêts particuliers – que ce soit le communautarisme, ou les pratiques de Dassault.
On est bien là dans un mouvement féodal des sociétés.
Lorsque la civilisation romaine s’est effondrée, cela a pris du temps. Le mouvement de la crise se déploie d’abord dans l’extrême concentration des richesses, qui obligent les riches à accorder aux classes populaires une sorte de revenu universel par les distributions de pain et de jeux, par le clientélisme. L’état se dissout ainsi dans les intérêts particuliers, les forces violentes poussées par d’autres empires sur l’empire romain s’intègrent d’ailleurs comme auxiliaires et nouveaux agents de la violence de l’empire. Mais tant qu’une classe privilégiée peut se goinfrer du produit des productions de l’empire, celle-ci ne change rien à ses propres modèles économiques. Il y a un coup de génie prolongeant l’empire d’un ou deux siècles en adoptant la nouvelle religion des classes populaires comme religion d‘Etat, et sans ce bouleversement, le christianisme n’aurait pas été si puissant.
C’est parce que le christianisme le relie à la légitimité romaine que le sauvage Clovis se convertira, avant d’aller continuer ses pillages.
On le soupçonne : la surexploitation des céréales égyptiennes s’accompagne d’une baisse des rendements qui n’est pas sans rapport avec la décadence d’un empire qui, de la prise de Rome à l’effondrement de l’empire de Charlemagne, dernière tentative de restauration d’un ordre assis sur la loi, prendra 4 siècles, et verra la coupure, par l’invasion arabe, de loccident d’un de ses Hinterland historique, le Maghreb et le proche orient.
Car enfin, l’histoire de Rome est indissociable de son espace, de Carthage à Alexandrie, d‘Antioche à Constantinople, de Athènes à Trèves, et de Cologne à Lyon, Bordeaux, l‘Espagne.
La conquête par l’islam des colonies romaines s’accompagne par la conversion à l’islam d’un grand bras d’honneur des anciens colonisés à l’égard des latins christianisés, c’est à dire, des européens ayant abandonné le culte des ancêtres et des empereurs pour une religion orientale dont la plupart des mythes sont nés en Mésopotamie et écrits en cunéiformes mille ans avant la bible.
Pourtant, notre espace est à la fois plus global et plus limité.
La violence de nos sociétés s’accentue globalement. Bolsonaro s’allie à des milices sauvages, Duarte aussi, Trump le voudrait, pour féodaliser le monde d’un libre échange qui ressemble de plus en plus à un esclavage du monde.
Après tout, la Hanse ou les grandes familles nobles rhénanes sont à l’origine des pillards et des bandits de grand chemin vivant de rapines sur les grandes voies de commerce. Féodalismes et capitalisme ne sont pas incompatibles, surtout quand les capitalistes sont suffisamment monopolistiques pour se substituer à l‘Etat et privatiser la violence.
Or, le féodalisme ne vit pas du respect de la loi, mais de la violence la plus forte.
Beaucoup d’ultra conservateurs ont déjà théorisé l’idée qu’un changement climatique à 6 degrés est inéluctable, et qu’il faudra sans doute tuer un milliard d’humains dans ce nouveau monde, organiser un monde de rapports de force bases sur la violence.
Alors vous me direz : tout cela à cause d’une patate?
Tout part de comment nous produisons nos aliments.