Inondation en Thuringe

février 8, 2020 0 Par Mathias Weidenberg

Ca veut dire quoi, les digues s’effondrent ?

Et bien, quand un événement politique a lieu, qui fait entrer dans la réalité des scénarios repoussés auparavant par tous, cette nouvelle réalité s’impose à tous.

Le vote conjoint de la CDU, l‘AfD et le FDP en Thüringe a fait sauter la digue de la collaboration électorale et politique entre les ailes les plus conservatrices de la CDU et l’extrême-droite. En Saxe-Anhalt, la CDU gouverne en coalition „Kenia“ avec les Verts et le FDP. Mais cette coalition leur pèse. Les Verts leur pèse, leurs véritables compagnons de pensée sont à l‘AfD. Alors, des dirigeants de la CDU locale se demandent s’il ne faudrait pas déclencher la fin de cette coalition. Ils annoncent déjà par avance interdire „à Berlin ou Düsseldorf“ toute critique et intervention dans leurs affaires régionales.

Ils ont également salué bien sûr le voté du 5 février comme une victoire.

En Saxe, à Berlin, au sein du FDP son vice-président et hôte régulier des Talk Shows Kubicki (originaire de l‘Ouest, dans le Land le plus au nord de l‘Allemagne a la frontière avec le Danemark), de nombreuses voix célèbrent la rupture des digues et sortent barques, canots et planches pour surfer sur la vague.

Cet épisode sanctionne très logiquement le règne de la chancelière, et illustre à quel point, depuis qu’elle a accepté de démissionner de la présidence du parti CDU tout en refusant de passer la main à la chancellerie, son autorité chaque jour s’effrite sans que sa successeur s’affirme.

Je l’ai souvent décrit ici : la politique de la chancelière, fondée sur l’immobilisme social, a favorisé pendant la décennie la plus prospère de l’économie allemande ceux qui étaient déjà favorisés et maltraité ceux qui avaient commencé à décrocher sous Schröder. Cette absence totale de responsabilité sociale s’est accompagné de l’absence complète de récit national. Merkel a toujours défendue les intérêts mercantiles allemands, tant qu’ils n’entraient pas en contradiction avec son objectif principal : rester chancelière. Toutes les impulsions européennes de la chancelière étaient mues par la défense des intérêts souverains des classes aisées allemandes, et/ou l’intérêt electoraliste.

Elle a pris deux grandes décisions structurantes en 14 ans, à chaque fois poussée par l’opinion publique, sans plan ni concept, à des coûts collectifs considérables.

Alors qu’elle portait avec le FDP l’idée de redémarrer le nucléaire – SPD et verts avaient défini un plan d’arrêt de celui-ci, négocié longuement avec les entreprises concernées – et qu’elle mit fin des 2009 au moratoire de la coalition précédente – un épisode que les verts actuels semblent avoir oublié – Elle prit la décision surprise, sans préparation, en pleine émotion post Fukushima, d’arrêter de nouveau en mai 2011, prenant toute l’industrie à contre courant, ainsi que son parti.

En septembre 2015, après plusieurs discours de fermeté, n’hésitant pas à faire pleurer une adolescente réfugiée devant les caméras, sous la pression de l’opinion lui reprochant deux mois de silence, et observant le rapprochement sur cette question des Linke, des verts, du SPD, effrayée que ces trois partis fassent chuter à l’automne la Groko pour mener une coalition RRV – La gauche était majoritaire entre 2013 et 2017 au Bundestag – Elle annonce,sans se soucier de ses voisins, des traités européens ou de quoi que ce soit, l’ouverture des frontières.

Ces deux décisions structurantes n’ont jamais été part d’un plan, d’une vision, d’un mouvement de pensée. Ce furent deux coups tacticiens. Deux mouvements de triangulation qui ont profondément déséquilibré les sujets concernés.

Sous Merkel, la crise sociale s’est accélérée. La pauvreté est passée de 11% en 1998 à 17% en 2018. Le plein emploi, l’excédent commercial et l’équilibre budgétaire ne profitent pas au peuple allemand, où 10% de salariés vivent sous le seuil de pauvreté, où la précarité domine les vies de millions de ces soi disants „chômeurs résorbés“ sans aucune perspective d’amélioration de leur situation matérielle, alors que le coût des logements à été multiplié par trois en dix ans. L’état des infrastructures publiques est catastrophique et commence à coûter en points de productivité. La transition écologique, forcée par la décision erratique de 2011, n’est pas plus financée que celle du numérique.

Sans surprise, les classes populaires font sécession de ce système qui dans la période la plus prospère de l’histoire allemande les plonge dans la misère.

La grande coalition en 2013 rassemblait encore 76% des électeurs.

La grande coalition de 2018 ne pèse plus dans les sondages que 42% des voix.

En 2017, pour la première fois depuis 1953, des députés d’extrême droite siègent de nouveau au parlement national, ils sont 92 députés. L‘AfD fait 14% dans les sondages.

Les cartes électorales le démontre : ce sont les couches ouvrières autrefois SPD ou CDU qui ont rejoint l‘AfD. C’est un vote de classe.

La weimarisation des parlements régionaux entraînent des coalitions informes. Cette absence totale de clarté politique renforce encore le discours de l‘AfD qui dénonce à raison le paradoxe de cette prospérité sans partage, avant d’en rendre responsable „Bruxelles“, „l‘Euro“, „l’islamisme“, „les réfugiés“.

Mais c’est Merkel elle-même qui utilisa les concepts des boucs émissaires, rendant responsable de la crise en 2010 „les italiens“ puis de 2011 à 2016 „les grecs“, et disculpant le système financier allemand ou les acteurs des évasions fiscales de la crise de 2008-2009, refusant une analyse factuelle et raisonnée de la mini récession européenne de 2013-2014, celle que son TSCG et sa règle d’or avait inutilement provoquée. Il faut dire qu’entre temps, son complice était celui qui aurait du animer l’opposition, ou mener un gouvernement de gauche, le SPD.

Il est donc logique que le ver, une fois dans le fruit, en sorte par ce qui est en haut, la queue accrochée à l’arbre, et c’est donc par la CDU que l‘AfD reçoit ses brevets en respectabilité, une CDU bien décidée à solder les „gauchismes merkellien“.

La balle historique est maintenant dans le camp du principal parti d’opposition d’après les sondages. Les Verts ont l’opportunité de devenir la force structurante du pays. Crédités entre 22 et 24% dans les sondages, ils pourraient, en cas d’élections anticipée sanctionnant le FDP en l’éliminant du Parlement, mener une coalition de gauche plurielle qui serait majoritaire.

Ils pourraient aussi continuer leur pas de deux, rester dans le flou, jouer des ambiguïtés, comme un homme marié n’évoquant jamais sa femme pour se garder „des options“, et flirter avec la CDU.

Vu qu’en Saxe Anhalt, la première idée de la CDU, c’est remplacer dès que possible les verts par l’extrême-droite, il serait peut être temps pour les verts de choisir un camp.

Le temps de la courtoisie platonique est finie, la bataille de Thuringe lance une guerre de tranchée qui s’annonce sale et décisive. Il est temps de retrousser les manches et de se lancer dans la bataille.