Le logement

février 12, 2020 0 Par Mathias Weidenberg

Le logement, le logement, le logement.

Tout part et finit là.

Lorsque je suis arrivé à Berlin, avec trois sacs à dos, et peu de sou vaillant – je devais trouver une source de revenu en 3 mois ou repartir – j’avais une chambre dans une colocation pour 200 DM par mois – 100 euros par mois. Ce fut ce qui me permit de tenir longtemps, trouvant d’abord un stage à 500 euros par mois mes dix premiers mois dans la ville.

Pourquoi je commence par un épisode biographique forcément subjectif.

Lorsque je suis arrivé à Berlin, le taux de chômage était de 18%. Il n’y avait pourtant peu de gens vivant dans la rue : la ville possédait des dizaines de milliers de logements dont plusieurs vide, on estimait la surcapacité à près de 200 000 logements.

A l’époque, aux élections de 2001, le SPD était le premier parti de la ville à 29,6%, devant la CDU 24% et le PDS, le parti issu du SED, communiste est allemand, 22%.

Le SPD devait même atteindre 31% en 2006, alors que les prix de l’immobilier, les années précédentes, avaient … plongé, la bulle spéculative immobilière attendue depuis 1996 à Berlin n’ayant pas eu lieue, et la crise économique et financière mondiale de 2001-2002 fait fuir les investisseurs étrangers.

Les prix de l’immobilier berlinois ont commencé à frémir à la hausse dans la suite de la crise financière de 2008 alors que le chômage baissait à Berlin, et que la ville, de fait de son immobilier peu cher, attirait des startups.

La ville restait en surendettement- entre 1991 et 1998, tout le monde promettait un boom immobilier et économique à Berlin, l‘Etat fédéral cessant subitement ses subventions à la partie Ouest, subventions censées être „compensées“ par le déplacement de la capitale de Bonn à Berlin. La ville, surinvestissant dans ses infrastructures, prévoyait 4,5 millions d’habitants en 2005.

Entre 1998 et 2005, Berlin passa de 3,5 millions à … 3,2 millions d’habitants.

Poussé par l’idéologie déjà dominante du zéro noir, et les régions du sud, notamment la Baviere, mettant en cause la solidarité entre régions, Berlin a donc, entre 2005 et 2012, vendu son immobilier en mains municipales pour réduire sa dette.

Des dizaines de milliers de logements ont été vendus, des barres entières détruites, et le foncier, vendu à vil prix, est devenu depuis le lieu de constructions de gigantesques zones commerciales alignant IKEA, Kaufland, Otto et autres…

La reprise économique allemande de 2010 a également permis à la ville de voir arriver des allemands du sud, très qualifiés, très bien payés, augmentant la population et contribuant à baisser le taux de chômage. Ces nouveaux arrivants se sont rués dans les quartiers centraux, chers pour un berlinois, extrêmement bon marché pour un badois ou un bavarois.

Les énormes quantités de liquidités s’accumulant en Europe et en Allemagne ne trouvant à partir de 2011 et du TSCG aucun débouché garanti dans de la dette publique se sont orientées vers l’immobilier, et la grande ville européenne sous cotée, c’était Berlin. Les capitaux danois, britanniques, puis internationaux, se sont rués sur l’immobilier berlinois.

Alors que les loyers allemands ont progressé de 40% entre 2011 et 2019, la progression moyenne, malgré une loi fortement favorable aux locataires installés, fut de 78% à Berlin.

Le chômage a baissé : il est passé sous les 10%. En même temps, pourtant, les formes d’emplois précaires se sont multipliées pour les berlinois d’origine, s’accompagnant d’une hausse de la misère réelle, et du nombre de sans domiciles fixes.

Entre 2012 et 2014. un mouvement de rejet des nouveaux arrivants … sud allemands entraîna une série de dégradations et d’incendies dans des cages d’escaliers au slogan „Les Souabes, rentrez chez vous!“

La gentrification a poussé massivement les berlinois à petit salaire hors leurs murs.

Les commerçants et les restaurateurs sont également touchés : tout un écosystème s’effondre, poussant des berlinois historiques dans des situations d’extrême précarité.

En 2011, les berlinois avaient donné un premier coup d’alerte : le parti anti système et libertaire „Les Pirates“ avait rassemblé 9% des voix.

En 2016, le message a été plus clair : l‘AfD a fait 14% dans une ville où l’extrême-droite était restée marginale jusque là.

Malgré l’annonce très médiatique en 2019 de l’établissement d’un plafond sur les loyers, la ville n’a pas été capable d’enrayer et la progression des prix de l’immobilier, et la paupérisation par l’accaparement du revenu disponible par le logement des berlinois de classe modeste.

Le dernier sondage vient de sortir:

Le SPD est à 15% la moitié de ce qu’il était en 2006, précédé par les verts 22%, les Linke 17% qui ont perdu aussi 6 points, la CDU 16% qui en a perdu 7, et talonné par l‘AfD oscillant suivant les semaines entre 14 et 11%.

L’atomisation de la scène politique et l’irruption pérenne de l’extrême-droite suit la courbe de l’évolution des prix du logement – car la première des insécurité, c’est celle là.

Le logement, c’est là où insécurité culturelle et matérielle se retrouvent.

Toute politique incapable d’analyser cette évolution là, les raisons systémiques de cette évolution, et d’apporter des réponses non d’outil – déjà en 1794 la Convention avait échouée avec la loi du Maximum à enrayer les spéculations, la ville de Berlin échouera avec son plafond de prix du loyer – mais de système, échouera à court comme à long terme, emportant dans son échec les bases même d’adhésion à la société démocratique.

Un professionnel de l’immobilier et des investissements privés m’a confirmé que les banques allemandes allaient introduire des frais de gestion des comptes courants pour en faire partir les 1400 milliards d’euros stockés en Allemagne, et qui,,avec les taux d’intérêt negatifs, grèvent les bilans bancaires.

Il m’a dit „2020 sera l’année d’une forte hausse de l’immobilier, du marché des actions, des matières premières et notamment valeurs refuges, car il n y a rien d’autre actuellement sur le marché pour ces liquidités“.

C’est pas comme si des urgences climatiques, alimentaires, technologiques et démocratiques ne menaçaient pas nos sociétés, requérant des États de mobiliser des masses de capitaux considérables, par l’emprunt ou l’impôt, pour y faire face.

L’idéologie stupide de l‘ordoliberalisme européen préfère les bulles spéculatives sur fond de réchauffement climatique et transformation autoritaire des régimes politiques.