Il y a un an, une remarque toujours actuelle

janvier 11, 2020 0 Par Mathias Weidenberg

J’écrivais exactement il y a un an ceci:

« Rappel utile de Robert Curbet: parce qu’un pays n’arrivait pas à rembourser une dette publique suite aux destructions qu’il avait lui-même causé dans une guerre mondiale, il en perdit sa souveraineté, et cette crise, en déclenchant l’hyperinflation, en devenant sociale, allait être directement à l’origine de l’envolée du NSDAP.

C’est en réponse à cette histoire là qu’après la seconde guerre mondiale, les électeurs britanniques ont renvoyé le conservateur, amoureux de la Sterling-forte et de la répression policière des syndicats Churchill une fois la victoire acquise, pour reconstruire avec un Labour keynésien une société de solidarité.

C’est en réponse à cette histoire qu’en France, le CNR a fait inscrire la définition “sociale” de la République dans la constitution, en en précisant les termes dans le préambule, toujours actif aujourd’hui. La création de la Sécurité Sociale, du commissariat au plan, la nationalisation de secteurs stratégiques répondaient aux enseignements de la montée des totalitarismes nationalistes 20 ans plus tôt.

C’est aussi pour cela que l’Allemagne vaincue, coupable, et coupée en morceaux, vit une annulation de sa dette publique – ce que l’on refusa à la Grèce – une intégration au plan Marshall (La partie Est refusa, comptant sur le plan issu des soviétiques) et, dès que l’Allemagne de l’Ouest retrouva sa souveraineté, l’établissement par les conservateurs chrétiens d’une « économie sociale de marché » que les sociodemocrates, au pouvoir en coalition avec les libéraux, approfondiront.

La création de ces « Etats-providence » ne répondaient pas à une question comptable, ou à une exigence populiste. C’était la réponse aux souffrances et aux crises européennes depuis 1919.

Que ce serait-il passé il y a un siècle, si, face à la révolte des classes populaires berlinoises et bavaroises, les spartakistes, les sociodemocrates, au lieu de s’allier avec le parti de l’ordre et de la répression policière, avaient tendu la main à Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg ? Aurait-on pu éviter que le nazisme ne devienne le vote refuge des classes populaires et moyennes qui allaient tout perdre dans hyper inflation puis la déflation après 1929?

La question sociale est au cœur de ce qui permet la démocratie : la cohésion, le pacte, le consensus, la conscience sociale, d’être tous membres d’un même groupe social, qu’on le nomme peuple, Nation, ou humanité.

C’est ce que même les conservateurs avaient compris en 1945.

L’offensive des libéraux pour renverser l’ordre de la redistribution et la fiscalité les affectant est très bien documentée depuis 1973. Je n’y reviens pas.

Peut-être que le dernier gaulliste à occuper Matignon, Chaban, avait avec son modèle de « Nouvelle Société », proposé la dernière conception modernisatrice du pacte social de 1945. Mais c’est Giscard qui emporta la mise en France, Thatcher qui mit fin à un Labour déchiré entre classes différemment affectée par l’inflation des années 70,et en Allemagne, dès 1982, le renversement d’alliance des libéraux, qui rejoignent les conservateurs.

Depuis, surtout après 1989, personne n’a plus eu le courage de rappeler l’importance des leçons de l’histoire.

« C’est la fin de l’histoire! », « Rousseau et l’universalisme humaniste sont les germes des totalitarismes », « l’Etat enferme les énergies, la liberté vivra sans impôt, sans solidarité nationale, grâce à la générosité charitable des premiers de cordée ».

Ce libéralisme là est fondamentalement opposé à la liberté. Il tue les cadres nécessaires à ce que chacun et tous nous soyons libres, car il nie même l’idée de cohésion, de solidarité, de société « ça n’existe pas, la société » disait Thatcher.

A l’heure où un conflit social inédit, tant dans sa profondeur, son ampleur, sa durée, sa violence symbolique et physique, et son soutien par la majorité des français, appelle à lui une répression politique inouïe, 5000 interpellations, des condamnations à des peines de prison ferme pour participation à un attroupement, des appels à criminaliser des tribunes d’opinion, des centaines de blessés graves, plusieurs mutiles, au moins 1 mort due à des grenades policières, 2 morts dus à des contremanifestants, et une situation politique dans une impasse totale, il est temps de se rappeler que l’écrasement des Spartakistes en janvier 1919 a ouvert la voie à l’extrême-droite plus sûrement encore que la répression actuelle ouvre la voie au Rassemblement National.

Mais on retrouve des signes analogues partout : les britanniques ont rejeté l’Europe, rendue responsable des souffrances imposées par leurs propres conservateurs, les allemands se détournent de leur tradition démocratique récente et renvoient 94 députés d’extrême-droite au Bundestag, et toute l’Europe bruisse de la colère des classes populaires victimes de 40 ans de libéralisme.

Il est temps de réfléchir et se souvenir. Un peu de courage et de responsabilité serait bienvenu pour tendre des mains plutôt que des poings. »

Depuis, le conflit social français vise à défendre le système de retraite le plus efficace d’Europe contre des idéologues libéraux voulant copier les pays européens les plus touchés par la pauvreté et le dénuement de leurs retraités.

Depuis, la Grande Bretagne a définitivement choisie un gouvernement souverainiste et populiste, qui continue le detricotage des services publics tout en augmentant massivement le smic local.

Depuis, l’urgence climatique prouve en Australie son actualité non future, à l’échéance 2050, mais contemporaine, démontrant à quel point le libéralisme productiviste consomme à court terme et génère des coûts faramineux immédiats. 250 000 australiens évacués ont perdus les bases même de leurs existence, réfugiés climatiques dans leur propre pays.

Il est temps de s’unir contre ces gens qui nous mènent socialement, démocratiquement et environnementalement à la catastrophe historique.