Le foncier, à l’origine de tout

Le foncier, à l’origine de tout

octobre 6, 2019 0 Par Mathias Weidenberg

Deux des thèmes que je décris depuis 6 ans avec une certaine constance sont la montée des prix de l’immobilier comme symptôme de la crise sociale et de la crise du capitalisme contemporain, et la montée d’extrême-droite violentes, radicalisées, de mieux en mieux infiltrées dans les polices et armées européennes.

Ces deux sujets sont liés, et l’islamofascisme que je dénonce également, au côté de celle des bigotismes des autres intégrismes religieux – Trump et Bolsonaro sont les expressions politiques d’intégrismes chrétiens, Modi d’une définition de l’hindouisme comme race et nation excluant les non hindous et justifiant la violence aux musulmans, Nethanyaou d’une définition de la citoyenneté israélienne comme identique à une identité religieuse justifiant l’exclusion des non juifs, les boudhistes birmans d’une définition à la,fois raciale et religieuse justifiant le massacre des Rohyngas, et même dans la laïque Chine on peut voir dans le confucianisme mandarin l’ancêtre de l’idéologie mettant deux millions d’oighours turcophones et musulmans en camp de rééducation – est une autre face de la même médaille.

La conquête du foncier est le symptôme de la guerre sociale. La montée des intégrismes, c’est la conséquence de la capitulation face aux appétits immobiliers d’une classe sociale de tous ceux qui se piquaient d’universalisme républicain.

Si l’on croit à la République, alors on ne croit pas à la liberté obscène du riche d’imposer à tous ses intérêts particuliers comme intérêt public, et on lui limite son pouvoir, en lui confisquant son argent par l’impôt, ou en le mobilisant pour l’intérêt public par l’emprunt.

Depuis la crise financière de 2008, provoquée par une bulle spéculative immobilière américaine qui trouva contagion dans l’économie réelle – en contradiction avec tous les modèles des économistes reconnus – les Instituts qui prêtent doivent prouver ne pas s’être trop exposer au risque. La conséquence, c’est que la plupart des demandes d’investissements en capital risque, en innovation, en recherche à long terme, ne trouvent pas prêteurs. En même temps, les processus d’accumulation du capital au détriment du travail s’accélèrent, tout le monde pratiquant à des degrés divers des formes de déflation salariale et de réduction des coûts du travail, augmentant le coût (c’est à dire la rémunération) du capital.

En Europe, les banques, extrêmement fragilisées par leur gestion spéculative des années 2000-2010, tentent de sécuriser leurs niveaux de capitaux en prêtant à ceux qui garantissent le moins de risque : les États.

Mais, ceux ci ne souhaitant pas imposer le capital, et ne pas intervenir dans la lutte entre capital et travail, n’empruntent pas à la hauteur des liquidités accumulées. C’est ce qui explique que les taux d’intérêts soient négatifs, ou que, pour ne citer qu’un chiffre, les allemands les plus aisés accumulent près de 1000 milliards d’euros sur des comptes courant à ne rien faire, ni rémunérer (donc les banques ne peuvent les prêter pour des investissements) ni consommer. C’est ce qui a poussé certaines banques à réclamer de pouvoir appliquer des taux négatifs à ces dépôts, pour les forcer à aller quelque part.

1000 Milliards d’euros ne servant à rien, c’est bien l’indication que l’impôt ici serait indolore, les gens ayant accumulé ne sachant quoi faire de cet argent, ou que l‘Etat serait bien inspiré d’emprunter ces sommes pour ces investissements à long terme.

Justement, une catastrophe naturelle d’ampleur mondiale est en approche, un „fait de Dieu“ en quelque sorte, qui justifierait même au regard de la théorie néolibérale l’intervention de l‘Etat.

1000 Milliards, c’est 5 ans d’excédents commerciaux allemands – voila où sont allés les excédents, à dormir sur des comptes courants – c’est 3 ans de budget de l‘Etat français.

Ces gigantesques liquidités sont cependant un reliquat de volumes encore plus importants. Ceux ci ont alimentés la spéculation immobilière. A force de ne trouver de débouchés pour s’investir, les énormes liquidités accumulées et les énormes quantités de monnaies créés sont d’abord allées alimenter un boom des prix de l’immobilier européen.

Je reprends ici les données d’un article récent publié notamment sur le journal du Net:

L’évolution du prix immobilier à Paris sur 20 ans a de quoi donner le vertige : entre 1998 et 2018, les tarifs immobiliers ont quadruplé dans la capitale (+309%). Rien que sur un an, les prix immobiliers à Paris ont progressé de 5,8%, après +6,2% au trimestre précédent. Sur un trimestre, la hausse du prix de l’immobilier à Paris s’élève à 1,8%.

De l’autre côté de la Manche, le prix de l’immobilier a augmenté de 35% depuis le 2e trimestre 2011. Sur un an, l’indice des prix a augmenté de 3,2% au Royaume-Uni. A Londres, la progression est encore plus fulgurante qu’ailleurs dans le pays : les prix sont 15% plus élevés qu’il y a dix ans, avant la crise financière, et le risque de bulle immobilière y est élevé, d’après UBS.

Entre 2012 et 2017, le prix médian des logements anciens dans les zones métropolitaines s’est lui aussi apprécié dans le pays de l’Oncle Sam (+40%, selon les chiffres des Realtors). D’après les Realtors, toujours, les prix immobiliers devraient grimper de 4,7% en 2018. Freddie Mac table même sur +5,4% en 2018.

Ainsi est vérifié un théorème simple : lorsque les premiers de cordée sont favorisés, loin d’investir, ils accumulent et spéculent.

Sans l’intervention publique, sous la forme d’impôts et d’emprunt, l’accumulation du capital ne sert plus qu’elle même et n’a plus aucun lien avec les demandes et nécessites réelles des sociétés humaines.

Ainsi, malgré 40 ans de prise de conscience de la crise climatique, aucun investissement majeur n’a conduit à une série d’innovations disruptives qui, sur le modèle de Schumpeter, détruirait les technologies et les modèles de production energivores pour permettre une croissance respectueuse du vivant.

Sans intervention et contrainte, le capitalisme continuera à accumuler des sommes considérables sur ses livres de compte pendant que le dernier organisme vivant cessera de vivre au fond d’une fosse océanique.

Mais tout doit recommencer par l’effondrement des thèses économiques et budgétaires des 40 dernières années, et un renouvellement complet des cadres et des principes d’action publique.