
Les Européennes en Allemagne, la crise du SPD, de la gauche européenne et du capitalisme
(Ou: ça fait longtemps que je n’avais pas pris le temps d’écrire.)
1. Prologue à Harvard
La semaine suivant les élections européennes l’université américaine de Harvard a donné le titre de „Docteur honoraire“ à Angela Merkel. La chancelière allemande, ravie de cette occasion d’échapper aux contingences politiciennes dans lesquelles se noient sa dauphine proclamée, Annette Kramp-Karrenbauer (AKK) et sa rivale du SPD Andrea Nahles, prononça un discours de femme d‘Etat visionnaire et conservateur-liberale. La joie des organisateurs, pour qui Merkel est l’anti-Trump, était à son comble. L’un d’entre eux, faisant référence à des débats très actuels aux États-Unis, rendit hommage à la chancelière avec ces mots : „elle a quand même introduit le salaire minimum en Allemagne et fait le mariage pour tous.“ Après tout, n’est elle pas en plus surnommée la „Chancelière du climat“ – Klima-Kanzlerin?
Cette scène surréaliste illustre à merveille l’échec, vu du SPD, de la,Grande coalition, et l’impossibilité, vu de l‘Union, à remplacer au même niveau de surface de projection lisse des fantasmes (politiques) des autres la chancelière.
Angela Merkel est une adversaire déclarée du mariage pour tous. Il fut voté contre sa volonté dans les derniers mois de la législature grâce à une alliance du SPD avec les deux partis d’opposition de gauche, Linke et Verts, à l’instigation d’un Martin Schulz en campagne électorale.
Le salaire minimum, Angela Merkel, qui ne manque jamais une occasion de tresser des lauriers à Gerhard Schröder et son programme de réformes antisociales Harz 1 à 4, y est également opposée. Mais voilà, c’était la condition posée par le SPD à une grande coalition en 2013, et c’est l’alors ministre du travail Andrea Nahles qui mit la mesure en musique.
Quant au climat, depuis l‘élection il y a 14 ans de la chancelière, l‘Allemagne échoue à atteindre ses propres objectifs en réduction démission des gaz à effets de serre. Sa première mesure environnementale en 2009 après s’être débarrassée du SPD fut de rétablir le nucléaire, décision sur laquelle elle revint au moment de Fukushima par calcul électoral. De même, depuis les révélations des manipulations illégales des logiciels de mesure des émissions toxiques par les constructeurs automobiles allemands, en premier lieu Volkswagen où la région de Basse-Saxe et l’Etat possèdent une minorité de blocage, Merkel a tout fait pour protéger les constructeurs contre les consommateurs et la santé publique ou le climat.2. Le paradoxe de Junior
L’annonce, pendant la campagne électorale des Européennes, alors que les marches pour le climat initiée par la lycéenne suédoise Greta Thünberg ont rencontré un gigantesque écho dans la jeunesse allemande, que le gouvernement de Grande Coalition abandonnait ses objectifs climatiques à l’échéance 2030, et repoussait une sortie de l’énergie charbon à 2035, n‘a pas tellement gêné le vote conservateur, mais profondément affecté le vote pour le SPD.
Celui-ci vit le paradoxe du partenaire junior d’une coalition : tout ce qui est positif profite au chef de gouvernement, tout ce qui est négatif renforce les frustrations de l’électorat cœur du partenaire junior. Cette leçon, le spd l’avait reçu entre 2005 et 2009, passant de 33 à 23%.
Les libéraux du FDP l’ont aussi vécu entre 2009 et 2013, passant de 14 à 3%.
Le SPD l’a encore vécu entre 2013 et 2017, passant de 25 à 20%.
Incorrigible, il a tenu à répartir en Grande Coalition après l’échec des négociations entre droite, Verts et libéraux.
Aux Européennes, il a remporté le pire score de son histoire depuis … l’empereur Guillaume II, et passe, avec 15%, loin derrière les Verts (21%).Le SPD a mené en 2019 une campagne très européenne, sans contenu concret à cette „envie d‘Europe“. C’est un peu une répétition de la fin de campagne de Martin Schulz en 2017, qui abandonna la justice sociale pour se concentrer sur l‘Europe, opposant à une Merkel ouvertement souverainiste son attachement européen dans un débat télévisé surréaliste. Alors que les négociateurs du SPD avaient prévu une séquence débat sur la justice sociale, Schulz l’utilisa pour parler migration et Europe.
Sans surprise, les allemands jugent durement le SPD sur sa compétence en justice sociale. De 55% en 1998, au tout début de l’ère Schröder, on est tombé à 29% en 2019, soit en dessous encore qu’en 2004, au pire moment des scissions internes sur l’agenda Schröder.
Si le choix de l’européanisme a permis au SPD de gagner 90 000 électeurs venus du FDP – le parti libéral allemand a une position très frileuse sur l‘Europe avec un dirigeant, Lindner, opposé aux propositions de Macron – il en a perdu 2 millions à l‘abstentionnisme.
Son absence de discours et d’actes sur le climat, l’écologie, lui coûtent 1,7 million d’électeurs passés aux verts. La ministre de l’environnement SPD a tapée du poing sur la table le … lendemain des élections, accusant tous ses collègues de droite de bloquer sa proposition de loi climatique. C’est qu’ils maîtrisent le transport, l‘industrie, l‘agriculture. Mais la conséquence du gouvernement annonçant ne pas tenir les objectifs climatiques retombe fatalement sur le parti en charge du dossier.
Le SPD a sans surprise perdu aussi la bataille des classes d’âge. Les Verts sont choisis par 34% des 18-24 ans, 27% par les 25-34 ans. Le SPD ne retrouve un score au delà des 20% qu’auprès des plus de 60 ans.
Enfin, les classes populaires, les 30% Les plus modestes, ont depuis longtemps tourné le dos au SPD pour voter Linke, AfD, ou s’abstenir.
La structure électorale du SPD est celle du Parti Communiste français au moment de son déclin dans la seconde partie des années 1980.3. Les Européennes et la droite allemande
Le résultat des Européennes n’est pas bon non plus pour la droite allemande. Merkel, invisible dans cette campagne, n’en endosse aucun désagrément. Ce sont sa dauphine, AKK, et le candidat tête de liste des conservateurs européens, le bavarois Weber, qui doivent assumer le mauvais résultat. À 28%, la droite perds 8 points et 8 sièges. 1,25 millions de ses électeurs ont préféré les Verts. Le score de l‘Union chez les moins de 49 ans est également catastrophique. Un dirigeant conservateur en fut amené à analyser doctement, car ce fut prononcé sans se rendre compte de l’humour involontaire : „quand les jeunes commenceront à travailler, ils se rendront compte que lutter contre le changement climatique, c’est payer plus d’impôts et gagner moins“.
Oui, lutter contre la catastrophe qui s’annonce va coûter, bien sûr. Rien faire, ou croire pouvoir empêcher la catastrophe sans coût, voilà le déni autruchien (désolé pour le jeu de mot) que les jeunes générations n’acceptent pas.
AKK s’est aussi ridiculisée alors qu’un Youtubeur allemand publiait un réquisitoire sans concession, plein de statistiques, quelques jours avant le vote, en demandant rien de moins qu’une limitation de la liberté de parole hors de la parole officielle des partis…
Merkel observe, elle à fait savoir qu’elle doute des compétences de sa dauphine, qu’elle a pourtant choisie, pour devenir chancelière – sans doute pour apparaître comme un recours.
Elle souhaite également lâcher dans le virage le pauvre Weber qui se voyait voyait président de la commission. Il avait pourtant fait un sans faute, votant une résolution transpartisane au parlement européen contre les attaques à l‘Etat de droit de Viktor Orban en Hongrie, résolution que son propre parti bavarois refusa de voter. Il avait peu convaincu dans les débats des têtes de liste européens, mais sans non plus commettre de gaffes, et de toute manière ces débats furent peu suivis. La France par exemple n’en parla même pas.
Mais Merkel sait qu’un seul haut poste peut revenir à un allemand, et quitté à choisir, plutôt que Weber à Bruxelles, elle préfère Weidmann à Francfort. Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne arrive en fin de mandat. Weidmann, le président de la Bundesbank, est un faucon austeritaire, très critique au sein du directoire de la BCE des choix en politique monétaire de Draghi. Merkel est depuis longtemps sur la ligne Weidmann contre la ligne Draghi.
En sacrifiant Weber, elle peut faire une fleur à Macron. Le président français, par principe, refuse les „candidats têtes de liste européens“ parce que le parlement européen lui a refusé son idée de listes transnationales. Il souhaite que la commissaire européenne à la concurrence, une danoise membre du parti libéral, devienne présidente de la commission.4. crise mortelle au SPD
Mais la déflagration au SPD est bien plus profonde que dans la droite.
Après une semaine de rumeurs, de discussions confidentielles se retrouvant le lendemain dans les journaux, d’échanges de mots d’oiseau entre membres du même courant, Andrea Nahles a tenté un passage en force, et face à une plus forte résistance que prévue, vient de jeter l’éponge. Elle démissionne de toutes ses fonctions et mandats et quitte la politique.
Elle qui mena longtemps l’aile gauche du SPD avant d‘en perdre la présidence suite à un vote de à base, elle qui créa une seconde aile gauche pouvoir rester à la direction du Parti, qui fut loyale aux directions successives, fut la principale avocate de la Grande Coalition en 2018.
Elle menaçait : si le SPD ne la faisait pas, les électeurs s’enfuiraient.
Elle promettait : en refusant de siéger au gouvernement, elle mènerait un renouvellement du parti tout en étant au pouvoir.
A de nombreuses crises provoquées par les relations détestables entre Merkel et son ministre de l’intérieur, le bavarois Seehofer, c’est Nahles qui proposa les compromis sauvant la coalition, au point, dans l’affaire Maaßen, d’être désavouée par sa propre base, scandalisée de voir un haut fonctionnaire des services secrets soupçonné de complaisance avec l’extrême-droite être promu sur l’idée de Nahles.
Le renouvellement n’est pas venu. La campagne des européennes aurait dû montrer le résultat de ce processus, voir le SPD capable de dire ce qu’il veut, quelles solutions la social-démocratie souhaite pour la crise climatique, l‘Europe sociale, la démocratie numérique. La seule chose qu’elle sût dire, c’est qu’elle était prête à s’allier au président libéral français…Dans un sondage publié hier, les Verts passent pour la première fois devant la droite, le SPD s’effondre à 12%. Un second sondage rétablit un rapport de force plus habituel, et pourtant misérable : droite à 28%, Verts à 20%, SPD à 16%…
Les électeurs se sont enfuis à cause de la grande coalition. Et le parti n’a pas engagé de renouvellement.
Alors, cela a des conséquences pour toute la social-démocratie: le PS s’est effondré également, passant de 21 députés européens à 6 entre 2004 et 2019. les deux délégations ne sont plus les colonnes vertébrales du groupe PSE.
C’est bien en retrouvant l’origine même du mouvement social-démocrate, ouvrier et marxiste lorsqu’il fut créé par LaSalle, développé par Liebknecht père et August Bebel, fondé sur l’analyse du monde tel qu’il est, et une philosophie universaliste humaniste, profondément opposé aux inégalités étaux oppressions inhérentes au capitalisme, que la gauche allemande se retrouvera. Car c’est dans cette origine que se trouve également les clés pour la transformation écologique et sociale du monde humain.
Pour cela, il faut sans doute accepter un big bang en Allemagne.
Les Linke n’ont pas su saisir l’occasion de se renouveler, et d’organiser ce big bang, à l’occasion du lancement pas Sahra Wagenknecht d‘Aufstehen. Les intérêts boutiquiers des apparatchiks installés dans une organisation constituée ont conduit à la diffamation puis la destruction d’un mouvement pourtant à 100 000 sympathisants.
Le SPD est dans l’état désolé que je viens de décrire.
Les Verts, ivres de victoire, comme en France, vont avoir besoin de temps. L’ampleur de leur victoire dans la jeunesse signifie cependant également que les Verts allemands peuvent compter sur une énergie de transformation n’ayant pas peur de perdre quelque chose, les jeunes générations n’ayant pas encore accumulé. Sauront ils sortir d’un discours électoral rassurant le bourgeois – les verts font aussi le plein dans les classes sociales supérieures – pour engager les rapports de force conflictuels indispensables à cette transformation? Rien dans leur histoire permet de le penser.
Mais laissons leur le bénéfice du doute, en les accompagnant de notre vigilance.5. d’où ça vient tout ça
L’une des plus grandes défaites collectives de l’histoire européenne récente a vu la social-démocratie européenne se faire l’instrument de la gloire de ceux-là mêmes à l’origine, en tant qu’adversaires, d’elle-même.
La social-démocratie, qu’on la définisse réformiste, de gouvernement, pragmatique ou modérée, puise son origine à la même source, ou plutôt au même puit que le socialisme radical, le communisme, le mouvement révolutionnaire : la paupérisation de la population avec la Révolution industrielle, paupérisation entraînant une oppression politique et symbolique. C’est la dénonciation de cette toute petite minorité accumulant toutes les richesses à un rythme de plus en plus exponentiel qui fonde, par désir de justice, d’égalité, d’équité, mais aussi de liberté, toutes les couleurs de pensée ultérieures.
Il a fallu certes des géants antérieurs fondant les principes et les valeurs absolues.En 1872, Benoit Malon publie une histoire des écoles socialistes françaises. C’est un livre d’avant la conquête du mouvement ouvrier français par le marxisme, marqué cependant également par deux grands épisodes d’espoir, et de massacres horribles, d’exécutions sans jugement, de meurtres d’enfants, de liquidation d’innocents parce qu’ils avaient écrit contre l’ordre établi, Juin 1848 et Mai 1871.
23 ans seulement séparent ces deux épisodes qui virent, chacun à leur manière, la fin sanglante des premières tentatives de gouvernement de socialistes français, avec à chaque fois un ordre bourgeois sans vergogne dans le meurtre, la torture, l’indignité, et tous les deux, la République proclamée.
C’est l’espace entre le mouvement social qui fit tomber les réformes de Juppé et aujourd’hui. C’est l’espace entre la fin de la seconde guerre mondiale et Mai 68.
Ce livre évoque, en reconnaissant ne pas l’avoir lu car il n’est pas traduit, une transformation de la réflexion socialiste, mettant fin au mysticisme métaphysique des socialistes français en enracinant la critique socialiste du capitalisme dans la science et l’histoire, due à l’allemand proscrit Karl Marx.
Il consacre de longues pages aux utopistes, évacue Louis Blanc assez sommairement – premier socialiste au gouvernement, première grande désillusion – et développe plus longuement Proudhon en attaquant dès l’introduction sa mysoginie. Il consacre Pauline Rolland et des femmes socialistes comme les mères de l’impulsion syndicale française, ainsi que de l’engagement dans l’Internationale.
On voit dans ce livre tout le foisonnement, et le sectarisme parfois, du socialisme français. Tout y est.
Tous ont un point de départ commun: la colère devant la pauvreté de la majorité de la population dans un contexte de progrès technique et de croissance économique inouï.
Le livre rappelle aussi une donnée alors essentielle : beaucoup de socialistes français ne fondent pas leur légitimité morale et philosophique sur Rousseau, Hégél ou même les Jacobins. Non, l’inspiration morale et la légitimité universelle du socialisme se fonde chez beaucoup sur le message évangélique du Christ. Jesus Christ est vu comme le fils du charpentier, la première figure ouvrière de l’Histoire, et son message, celui de l’égalité, de la vanité de l’avidité des richesses et de la promesse d’une justice pour les miséreux ceux qui souffrent. C’est une lecture révolutionnaire.
Louis Blanc d’ailleurs, dans son histoire de la Révolution française, fera une analogie entre le couple Rousseau-Robespierre et le Père et le Fils, voyant dans Thermidor et la guillotine le sacrifice du fils pour l’égalité et la fraternité. Si l’on veut, l’esprit de la Révolution complèterait la trinité révolutionnaire selon Louis Blanc.Le fond de l’affaire socialiste, que l’on soit réformiste ou radical, que l’on préfère Guesde ou Jaures, qui sur le fond de l’analyse du capitalisme étaient d’accord, que l’on choisisse la SFIO ou la SFIC, Léon Blum et Jean Zyromski contre Paul Faure et Longlet, qu’on préfère Daniel Mayer à Guy Mollet, Savary à Mitterrand et Mitterrand à Marchais, Poperen à Rocard et Rocard à Chevenement, que l’on soit insoumis ou générations, c’est le refus que les inégalités économiques croissent, et que ce faisant, la majorité de la population perde sa liberté, esclave de la nécessité et la pauvreté, danger mortel pour toute démocratie.
Peu importe d’où vient l’engagement de chacun, le socialisme est une force s’opposant par définition à celle du capitalisme, et utilisant des principes d’action incompatibles avec le libéralisme.
Le triomphe des progressistes, associant social et libéral dans le même épithète, est donc fondamentalement un triomphe contre l’histoire et la mission même du socialisme. Il marque une apogée d’un refus de penser le monde, une lâcheté face à l’idée de rapport de force, une naïveté face à la violence même du capitalisme.
Ceux ci triomphèrent historiquement au dernier moment de bascule de l’histoire du capitalisme contemporain où une influence, un réformisme, une transformation était possible : entre 1994 et 2002.
La déception de leur pratique politique, renforcé par des alliances avec des partis conservateurs ou libéraux, a écarté l’électorat majoritaire, celui des classes populaires. Il a anesthésié toute pensée du monde tel qu’il est.
6. la crise du capitalisme, crise du vivant
En 2008, la plus grande crise systémique du capitalisme financier a éclaté. Sa résolution a accélérée d’une manière inouïe les processus d’accumulation du capital par quelques uns et la paupérisation des salariés.
En 2018, les grandes multinationales payent en moyenne 10% d’impôts de moins qu’en 2008, les plus riches accumulent 80% de la croissance, pendant que dans la plupart des pays occidentaux, le taux de pauvreté est de 25 à 35% supérieur à celui de 2007, que le plein emploi soit atteint, comme en Allemagne ou en Grande Bretagne, ou le chômage toujours de masse, comme en France, en Italie, en Grèce.
Pire: de nombreuses avancées collectives pour s’attaquer à la,crise climatique ont été réduites à néant, la marche au pétrole a recommencé de plus belle, et les partis négationnistes des transformations climatiques qu’inventent se sont renforcées.Mais les élites dominantes de ce qui reste des partis sociaux-démocrates n’ont jamais voulu s’emparer de cet objet, la crise de 2008 et ses conséquences, ni tenter de prévoir où nous mène un capitalisme financier fondamentalement identique en 2018 à ce qu’il était en 2008.
La critique du capitalisme financiarisé ne peux bien sûr jamais embrasser comme réalité complète le capitalisme lui même, selon ces élites.
Les accidents considérés comme impossibles ou anormaux doivent donc être expliqués par des problèmes d’outils, de réglages à la marge.
Les crises spéculatives sont ainsi non des phénomènes inéluctables dans une économie Monde de libre circulation des capitaux, et de monnaies flottantes sans aucun lien avec des réalités économiques, mais les conséquences de dérives dans l’utilisation des ordinateurs (argument déjà pendant la crise financière de 1987, qui ainsi fut réécrite pour en gommer la crise immobilière américaine préalable et les faillites des caisses d’épargne de ce pays) ou aujourd’hui les modèles d‘algorithmes, voire des manquements individuels (banque Barings, Maddoff, Kerviel).On se rassure : „le système financier contemporain est pérenne, et ferait sens, ce sont les outils qui déconnectent. Travaillons aux outils, et tout cela retrouvera son rôle de financement de la croissance des premiers de cordée.“
C’est évidemment du Bullshit avec un gigantesque B.
Je relisais l’automne dernier un livre publié en 1992 par Volcker, qui fut l’un des architectes du nouveau monde financier en aidant à concevoir la fin de l‘ordre monétaire de l‘après guerre pour entrer dans le monde financier contemporain.
Les contraintes économiques réelles qui pesaient sur le système financier d‘alors étaient très comparables à celles que nous connaissons depuis:
– les États Unis, engagés dans des dépenses militaires considérables, autrefois au Vietnam, dans les années 80 pour achever les réserves financières de l‘URSS dans la course aux armements, au début des années 90 en Irak, depuis 2001 entre l‘Afghanistan et le proche orient, ont des besoins considérables de financement extérieurs.
– Mais depuis la fin des années 60 la balance commerciale américaine est déficitaire, avec deux régions particulièrement excédentaires, siphonnant des ressources financières américaines vers l’extérieur : l‘Allemagne (1967-1989, 2008-2018) et soit le Japon (1965-1990) soit la Chine.
– les ÉtatsUnis ont donc déconnecté leur monnaie de toute référence à une économie réelle, et créer des montagnes de liquidités en dollars que des élites capitalistes en recherche de placements sûrs et loins des autorités fiscales ou de leurs peuples se sont dépêchées d‘acheter. C’est la fin de la convertibilité du dollar, et la croissance accélérée des paradis fiscaux et des pétrodollars.
– Mais les régulations des marchés empêchaient l’optimisation de cette accumulation de capital : on a donc peu à peu enlevé tous les freins à la circulation des capitaux et des personnes.Et c’est ainsi que le capitalisme financier s’est détaché et de la sphère productive, et de tout contrôle politique, pour créer cette monstrueuse machine à concentrer la richesse collective, tellement fragile cependant qu’elle menace, à chaque crise sérieuse, comme en 2008 – et ce n’est pas la dernière – de s’effondrer en emportant toute l’économie réelle.
Mais c’est bien un Charybde et un Scylla que nous avons là : si ce capitalisme n’est pas stoppé, son avidité en ressources va plonger la moitié de l’humanité, par nécessité écologique, dans la guerre, et menace l’ensemble du vivant.Ce capitalisme, c’est littéralement le choix de la mort – ou plus précisément, le déni de la mort par des gens soucieux d’accumulation pour oublier leur propre condition, persuadés que leur richesse peut les élever au rang de dieux immortels. C’est absurde, stupide et criminel.
C’est justement là que nous aurions le plus besoin des inventions utopistes du socialisme français, appuyé sur la critique scientifique du socialisme allemand, pour déterminer une voie de sortie commune, écologique, démocratique et sociale, de la crise capitaliste.
Commençons le travail.
Très très bon texte mais ça ne m’étonne pas de vous. Vous devriez vous mettre à l’exercice de l’essai, je pense qu’il vous irait à merveille.