Deux mots
L‘affaire autrichienne révèle à quel point nos débats sont biaisés.
En 2017, Juste avant les élections générales, le patron (Strache) et le numéro deux du parti d’extrême-droite FPÖ – il est alors allié du FN au parlement européen – sont piégés par une équipe filmant 8h de vidéos dans une villa d‘Ibiza.
Une actrice jouant la nièce d’oligarque russe se voit proposer, en échange d’un financement occulte du parti, financement occulte qui serait déjà pratiqué par trois industriels autrichiens connus (ils démentent, attendons l’ouverture d’une enquête), contrats publics et aide pour racheter un groupe de presse. L’idée est de liquider le pluralisme de la presse „à la Orban“.
Rappelons ici que Orban est membre du parti conservateur européen, comme Merkel, Juncker, Sarkozy, Wauquiez, autrefois Le Maire, Darmanin, Philippe, mais aussi le jeune prodige autrichien Kurz.
Kurz justement remporte les élections et crée ce qu’il appelle „le projet Noir-Turquoise“ en faisant une coalition avec l’extrême-droite, nommant Strache vice-chancelier.
Pendant deux ans, Kurz défendra le principe même de cette alliance.
L’Union Européenne s’en accommodera sans problème, faisant bien moins de difficultés qu’à l’élection de Syriza en version Tsipras-Varoufakis deux ans plus tôt.
Ce modèle d’ailleurs ne déplaît pas au parti du candidat européen du parti conservateur, Weber (CSU), qui invitera Orban en 2018 à son congrès, qui recevra Kurz, qui refusera en 2019 de voter une motion du Parlement Européen contre les attaques aux libertés publiques de Orban.
Depuis la diffusion de la vidéo, l‘ampleur de la corruption révélée entraîne l’explosion de la coalition droite-extrême-droite et la convocation d’élections anticipées.
Les commentateurs germanophones soulignent le danger de la corruption en elle-même, s’interrogent sur les attributions de commande publique depuis 2017, sur les rachats de capitaux de groupe de presse en Autriche.
L’extrême-droite allemande, l‘AfD, avait souvent invité les deux protagonistes de la vidéo, cherchant une stratégie ouvrant des alliances majoritaires avec la droite allemande pour gouverner certaines régions. Des élections régionales en ex Allemagne de l’Est pourraient ouvrir la voie à de telles alliances.
L’affaire autrichienne est bien embêtante en France.
Dabord, elle rappelle que la principale perméabilité avec l’extrême-droite est à droite, et non dans la gauche radicale.
On fait beaucoup de foin sur un ralliement individuel, mais une étude sur le vote en second choix des électorats révélait que seulement 6% des électeurs LFI voyaient l’extrême-droite en second choix, contre 8% chez les marchistes et … 30% chez les Républicains.
Elle rappelle également la bêtise congénitale de l’extrême-droite, capable de se battre elle-même plus sûrement encore que face un rassemblement de castors dérisoires.
Enfin, en exposant l’ampleur des liens capitalistiques entre extreme droite et pouvoirs économiques, elle fait éclater le mythe d’un affrontement „Populiste contre libéraux“.
Les libéraux économiques ont autant de joie à travailler avec Strache qu’avec Macron.
Alors, la France, les soutiens du marchisme, regardent le doigt plutôt que la Lune, et inventent un complot poutinien en Autriche.
Pourtant, l’affaire est claire :
Des dirigeants politiques trafiquent leur influence avec des oligarques, peu importe leur nationalité, échangeant financement occulte contre commande publique et groupe de presse.
La question pourrait être plutôt : quel parti en France est soutenu par des groupes de presse propriétés d‘industriels dépendant de la commande publique, et à quels degrés ces industriels financent ces partis?
Cette question ne sera pas posée.
Car depuis des mois, le narratif est celui d’une course poursuite entre le RN et LREM. Il est essentiel de maintenir l’illusion d’un danger populiste, et de disqualifier l‘opposition de critique sociale et écologique.
Seules les forces susceptibles de s’allier au marchisme – sociodemocrates, écologistes – seront épargnées tout en siphonnant, par des ralliements orchestrés, leurs électorats.
Le but est de marginaliser autant que se peut l’électorat Melenchon-Hamon, pour éviter le spectre d’un second tour FI-LREM, et concentrer toute l’opposition autour du bloc Le Pen-Dupont Aignan.
Les modérés de gauche et de droite ont vocation à rejoindre le marchisme.
C’est cela, le scénario de cette campagne. Alors tout ce qui gêne ce narratif est gommé.
Pourtant, l‘Europe et le monde sont face à des défis d’ampleur historiques. Nous sommes en 1939, en 1913, en 1788.
Le monde peut basculer dans un chaos, mais non celui des “populismes”. Ceux-ci ne sont que des effets, des symptômes des crises profondes, multiples et contradictoires de l’économie monde actuelle.
Oui, le changement climatique mets en danger tout ce que nous connaissons aujourd’hui. Un enfant né en 2019 verra, à l’âge de 30 ans, tous les effets de la catastrophe à venir.
C’est extrêmement angoissant.
Personne n’accepte un tel avenir sans réagir émotionnellement, par le déni, le refus, la colère, la resignation.
Il faut faire son deuil du monde tel qu’il est car il est déjà changé, et ça va s’accélérer.
La question fondamentale est celle du comment accompagner ce qui ne peut plus être empêché et comment réduire les effets de ce qui vient.
C’est une question non tactique, de conquête électorale, c’est une question de civilisation.
Mais comment croire qu’une société incapable d’entendre le cri désespéré de classes populaires réclamant une augmentation de salaire, y répondant par 4000 arrestations, des centaines de blessés, des douzaines d’eborgnes, une interdiction par la violence policière des droits de réunion et de manifestation, pourrait engager un tel débat?
(Le massacre de la rue Transnonain par Daumier)
Alors, on obscurcit. “Danger, Poutine”! “Attention, Salvini“! „C’est Macron ou le chaos“!
Mais le chaos vient. Les financiers du marchisme ne veulent pas l’empêcher. Ivres de l’arrogance stupide que leur donnent leur richesse, ils ont bien choisis le statu quo, ne rien lâcher de leurs privilèges, confiants en leur fortune pour les mettre à l’abri…
Les riches à Pompéi ne trouvèrent aucun salut dans leur richesse, les riches de Hiroshima ne survécurent pas à l’incendie, les riches touristes sur les cotes thaïlandaises furent noyés par le Tsunami comme les mendiants des plages.
Le capitalisme veut ignorer la mort.
Il est toujours surpris lorsqu’elle surgit.
Pourtant, c’est le seul phénomène de la condition humaine prévisible à 100%.
Oublier notre mortalité, c’est oublier notre responsabilité vis à vis de la vie.
Beaucoup d’industriels allemands ont trouvé injuste leurs condamnations au sortir du nazisme. L’héritière de Bahlsen a déclaré récemment que chez eux, les Bahlsen, les deportes du travail étaient “bien traités” et donc, le groupe Bahlsen serait sans culpabilité.
Pourtant, son grand oncle était un sponsor des SS.
Pourtant, c’est la déportation elle-même qui est sans excuse ni circonstance atténuante.
Révision de la mémoire familiale pour éviter toute responsabilité….
La mort, la responsabilité, sont vécus dans le capitalisme comme de profondes injustices improbables.
Ca ne peut pas s’arrêter voyons.
Carlos Ghosn ne peut être rendu responsable voyons.
La mort de l’ancien nazi patron d’IKEA a été chaudement pleurée.
Mais quand on meurt, on n’emporte rien de ce qu’on a accumulé. À quoi cela sert ?
Le capitalisme, en niant la mort, en feignant de croire qu’aucune catastrophe n’est possible, que la condition humaine n’est pas aussi une responsabilité, appelle sur soi les pires des catastrophes avec l’incapacité morbide à les prévoir ou en assumer les conséquences.
Porsche, Louis Ferdinand, jusqu’au bout, début mai 1945, fit produire des armes pour une bataille immorale et perdue.
Mitsubishi produisait les avions kamikazes encore au lendemain d’Hiroshima.
Jusqu’au bout, le capitalisme insistera pour maintenir le libre échange, le pétrole peu cher, l’exploitation des ressources, se réjouissant qu’avec les records de chaleur au pôle Nord de nouvelles voies navigables s’ouvrent, tout en niant la réalité du changement climatique.
Mais ce débat, vous ne l’entendrez pas dans cette campagne.
J’ai décidé l’an dernier de rejoindre un nouveau parti politique, celui fondé par Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann en collaboration avec le MRC de Bastien Faudot notamment.
Ce parti s’est allié à la France Insoumise, menée par Manon Aubry dans cette élection.
Le programme veut un changement de système, au nom de l’urgence climatique, et a soutenu depuis le début les revendications du mouvement social le plus violemment réprimé depuis les fusillades de Jules Moch en 1947.
C’est ce programme que je soutiens.
Cette élection est un épisode marginal dans le moment historique que nous vivons.
Mais quoi qu’il soit, le monde qui vient sera aussi le nôtre, et nous devrons y assumer toutes nos responsabilités.