
Bastille, Hôtel de Ville, Tuileries, Champs Elysées : topographie des révoltes sociales Françaises
Ce week-end, alors que le prince régnant allait profiter de la Cour à la frontière du royaume d’Espagne, après que son ministre en charge de la police se soit mis en scène au vue et su de tous dans une fête privée avec celle qui serait sa maîtresse, tous les deux pêchant par impudence, convaincus de leur impunité, la colère sociale prenait de nouveau comme champs de bataille les Champs Elysées pour affronter les symboles du pouvoir comme les forces de l’ordre social.
Au même moment, dans les lieux traditionnels de la manifestation syndicale et politique, une grande marche fédérait lutte contre le réchauffement climatique et lutte contre les injustices sociales, entre Bastille et République.
La ligne droite de l’Etoile à la cour du Louvre, devient la ligne symbolique, dans le corps urbain si particulier de Paris, le haut fourneau du sentiment national et républicain, du règne du président Macron. Nous y reviendrons.
Dans l’histoire qui mène la France à être une République, ce sont des lieux parisiens qui incarnent les divisions nationales et donnent la toile de fond des explosions de violence, tels des tremblements de terre détendant la tension entre deux plaques continentales, résolvant les contradictions accumulées au sein du corps social.
En 1789, c’est l’émeute en avril d’ouvriers à qui les patrons promettaient de baisser les salaires à l’occasion des discussions des États Généraux – ouvriers qui étaient exclus du droit de représentation dans ces États par leur pauvreté – qui fixe le grand lieu de la contestation sociale à l’origine de l’invention républicaine à l’Est parisien, du faubourg Saint Antoine à la Bastille.
Pendant la Révolution, trois lieux sont emblématiques des convulsions menant la France à l’invention d’un régime original, une démocratie sans dieu ni roi, et soucieux de justice social, la République : l’hôtel de Ville, où se forme déjà une Commune, la grande Commune qui pesa tant sur les événements, les Tuileries, château lieu de bataille, investi plusieurs fois en 1792, et première prison d’un roi pas encore renversé, et, au début de la longue ligne droite des champs Élysée, la place royale devenue Concorde, où l’on dressera l’échafaud.
La Bastille de la répression démontée, c’est la place de la révolte populaire, la place de la Bastille, où l’on appelle, une fois la restauration, à plusieurs reprises à renverser un gouvernement injuste et illégitime. Les « factieux » renverseront Charles X, renverseront Louis-Philippe. En Juin 1848, cependant, on les massacra une première fois pour leur apprendre qu’un régime d’élection n’est pas encore un régime de justice sociale, et que la revendication sociale est le plus grand des crimes.
En 1870 tout comme en 1871, le refus de la défaite pars de l’Est parisien, les défaitistes s’enfuient des Tuileries par la ligne droite des Champs vers Versailles, et c’est à l’hôtel de ville que se gouverne la Commune, après plusieurs tentatives ratées, notamment le 31 octobre 1870. La Commune transforme les Tuileries en théâtre populaire. Elle incendia les deux bâtiments, pendant que les obus des Versaillais mettaient le feu au reste de la ville, obligeant à l’invention du mythe des « petroleuses » pour justifier autant l’ampleur de la répression aveugle et meurtrière, que d’écarter la responsabilité des destructions.
Bastille, Hôtel de Ville, Tuileries, Champs Elysées.
Certains voudront ajouter le quartier latin, mais c’est un lieu d’escarmouche, mai 68 c’est joué dans la grève générale des ouvriers et employés, et non dans l’ultraviolence des black box étudiants de l’époque, qu’ils aient été bourgeois maoïstes ou bourgeois trotskystes. Les Champs Elysées, lieu de la descente des forces résistantes sur le cœur de Paris en 1944, devint le lieu d’une grande marche pour l’ordre social. C’est là que les Champs prennent leur signification politique : c’est l’axe de l’ordre.
Ce président Macron est le président, autoritaire, monolithique au point d’aspirer à l’hégémonie, imperméable à l’idée démocratique, de l’Ordre. Les Champs Elysées sont donc le lieu de son incarnation symbolique.
C’est dans une cour du Louvres ouverte jusqu’à l’Etoile depuis la destruction, en 1883, des ruines du château des Tuileries, château incendié 12 ans plus tôt par la Commune au moment où les Versaillais commençaient le massacre systématique, sans jugement, du peuple ouvrier parisien, que le président élu choisit de fêter sa victoire.
C’est dans la préparation du premier grand événement de son quinquennat, la descente des Champs Elysées des forces armées le 14 Juillet, qu’il opéra le premier acte symbolique de sa méthode du pouvoir : le limogeage brutal d’un chef d’Etat Major des armées jugé pas assez courtisan, ni suffisamment obséquieux, et cette brutalité autoritaire, c’est sa marque de fabrique.
C’est aussi sur les Champs Elysées que se noua deux des événements les plus choquants, les plus destructeurs du lien ténu entre le monarque présidentiel et la Nation: le 14 Juillet suivant, dans son palais, il permit à une troupe médiocre, et sans aucun lien avec ce que raconte le 14 Juillet, une fête bacchante, orgiaque, rappelant plus l’inconscience de Versailles ou l’impudeur du culte d’Astarte, que la geste républicaine, que pourtant l’on célèbre ce jour là.
Deux jours après, Le 16 Juillet, enfin, il fit abréger par son homme de main, barbouze découverte trois jours plus tard, la communion populaire entre les héros de la Coupe du Monde de football et la foule rassemblée sur les Champs, faisant traverser l’avenue au pas de charge, frustrant tant le peuple venu communier, au sens religieux, dans la célébration de ses héros, que de soi-même, que les sportifs eux-mêmes, conduits, incrédules, dans les salons privés pour une communion exclusive avec la Cour.
Le Palais d’ailleurs est un lieu où se concentre les excès de pouvoir de ce président et sa cour. Dès son installation, peu soucieux de couverture pluraliste par la presse, il décide de l’expulser des murs. La salle de presse ne le sera plus. Il invente une chorégraphie pompeuse de signature des actes de sa présidence, exécutant pour les caméras le pouvoir que la constitution donne au gouvernement. C’est aussi qu’il cherche à mettre fin à l’équilibre pourtant extrêmement fragile de la cinquième république en en supprimant le parlement, et en assumant complètement le rôle de chef de l’exécutif. Les ordonnances sont son objet favori de gouvernement. L’opposition parlementaire, méprisée, ignorée, essaye certes d’au moins transformer les deux chambres en tribunes.
Cela aussi lui est insupportable : à l’occasion de la grave crise sociale que le mouvement des Gilets Jaunes révèle, le président décide de créer hors de la constitution une instance de débat national privée d’opposition parlementaire, organisée par l’exécutif, et où lui, le président de la République, le chef de l’Etat pour tous les français, et par conséquent, interdit de débat parlementaire, se mets en scène en débats directs avec des interlocuteurs triés sur des sujets qu’il a choisi.
Rarement un tel président aura à ce point ignorer d’incarner la Nation toute entière. Rarement un pouvoir n’aura été aussi autoritaire et méprisant de la démocratie.
Alors un peuple qui souffre, mais dont personne ne reconnaît, dans ces lieux de pouvoir et de représentation symbolique la souffrance, qui se révolte, mais à qui l’auteur d’un livre intitulé « Révolution » interdit par des lois toujours plus liberticides l’expression de sa révolte, qui est même tenté par la criminalisation de son opposition parlementaire pour s’en débarrasser, envoyant seulement quelques semaines avant l’explosion sociale cent policiers perquisitionner le parti de la critique sociale, vient s’emparer par une violence qui n’est pas planifiée de ce lieu marchiste par excellence.
Macron avait appelé son mouvement En Marche pour s’emparer de l’Elysee. A 18 reprises, des foules se sont mises en marche pour le priver de l’Elysee.