Démocratie ou Bonapartisme plébiscitaire?

avril 29, 2024 1 Par Mathias Weidenberg

La session de la cour suprême aux États Unis sur l’extension de l’immunité du chef de l’exécutif, le président, n’était pas seulement un épisode de plus dans la saga de Trump.
Les débats devant la cour ont posé des questions fondamentales pour toutes les démocraties, et en particulier, en France, quant à l’état de la démocratie sous le régime présidentiel renforcé de la cinquième république, dont les institutions et l’esprit ont été profondément ébranlés par les réformes du début des années 2000.
Contrairement à une lecture monomaniaque née en 2005, je ne crois pas que notre démocratie soit profondément affaiblie seulement par les contraintes européennes.
Je pense que le changement institutionnel de 2000 ouvre la voie à un “Exécutif absolu” qui dès lors qu’il est sanctifié et oint une fois dans le scrutin présidentiel, peut déroger à toutes les autres formes d’expression souveraine du peuple.
Le contournement du référendum de 2005 n’en est qu’une des mises en pratique au milieu de dizaines d’exemples du contournement des décisions du peuple par la volonté de l’exécutif.
L’immunité présidentielle a été en partie levée en France : au vu du pouvoir absolu donné au président, il était nécessaire de créer un garde fou quant à la prise de contrôle maffieuse de l’Etat, danger toujours présent dans toutes les démocraties, dans toutes les géographies, à toutes les époques.
Le mot népotisme est bien antérieur de quelques millénaires au mot maffia qui n’en est qu’une forme.
Cependant, la levée de l’immunité ne crée pas de limite politique. Et on voit bien avec la saga judiciaire de Nicolas Sarkozy les difficultés pour faire aboutir les procédures judiciaires. Même les condamnations prononcées n’ont pas semblées contrôler les capacités d’influence politique de l’ancien président.

Aux États Unis, les équipes juridiques de Trump ont défendu devant une cour suprême composée aux deux tiers d’amis politiques de l’ancien président le principe de “l’absolutisme de l’exécutif”.
Le scrutin présidentiel serait l’expression ultime de la souveraineté populaire donnant mandat au président de gouverner avec tous les pouvoirs et sans limites autres que celles circonstancielles de procédures retardées dans le jeu parlementaire, que le président peut contourner en gouvernant par ordonnances.

Cette question est essentielle.
En 1879, la troisième république s’établit sur une lecture parlementaire des institutions après que les parlementaires aient empêchés un président, le maréchal Mac Mahon, d’imposer une lecture présidentialismes donnnat à l’exécutif un pouvoir absolu.
Mac Mahon d’ailleurs tenta, comme Trump, un putsch mal préparé et suffisamment peu soutenu par les autres institutions pour échouer.
La République française parlementaire est encore très conservatrice. Les classes qui s’imposent ainsi face à Mac Mahon imposerons aussi la colonisation d’une partie de l’Afrique et de l’Asie, construisant, après l’empire construit par la monarchie capétienne et perdu par celui-ci entre le XVIeme et le XVIIIeme, l’empire construit par les deux restaurations et le second empire entre 1830 et 1870 – aventure lamentable au Mexique incluse – un troisième empire.

Il fallut la quatrième république pour enfin réaliser le rêve des deux premières républiques, qui toutes les deux voulurent abolir l’esclavage autant que le colonialisme, et c’est cette quatrième république, définie comme sociale, qui fonde la sécurité sociale et la retraite solidaire, le droit au travail digne, et les droits des travailleurs comme constitutionnels, qu’il s’agit de faire disparaître dans la cinquième république.

Notons d’ailleurs que c’est sur une lecture presidentialiste finalement precurseur du trumpisme que Louis Napoléon, premier président élu au suffrage universel masculin de l’histoire, confronté à une assemblée opposée à son bord, et un mandat non renouvelable, décida par un putsch militaire d’imposer l’exécutif absolu.

En Allemagne, la lecture présidentialiste et du primat de l’exécutif sur le parlement ou le contrôle judiciaire a laissé de très mauvais souvenirs.
Les années 1930-1933 sont celles d’un gouvernement du président Hidenburg avec des cabinets de centre droits et technocrates procedant par ordonnances et ordres exécutifs. La panoplie mise en place pour contourner tout contrôle sera très utile au chancelier Hitler, qui ne prendra jamais la peine d’abolir la première république allemande. Son ministre des finances, un technocrate libéral, sera ministre de la première république du cabinet von Papen en juin 1932 jusqu’au cabinet Dönitz de la mi mai 1945. Il sera contre toute évidence acquitté à Nuremberg…

Depuis les réformes constitutionnelles passées sous le premier mandat Chirac et le gouvernement Jospin, qui ne pourra jamais être pardonné pour ce coup de poignard dans le dos de la République, tout a été fait pour renforcer l’absolutisme de l’exécutif.
Mais ceci a trouvé son paroxysme sous Emmanuel Macron, qui même dans son premier mandat a théorisé et laissé communiquer par ses alliés l’idée qu’ayant gagné le suffrage présidentiel, il avait tous les droits.
Cette lecture fut contrariée par la volonté souveraine en 2022 : le peuple français a donné mandat à Macron pour s’entendre avec ses oppositions. Certes, les français ne voulaient pas d’une extrême droite théorisant également le principe de l’exécutif absolu, mais pensaient qu’un libéral entouré de ralliés venus de la droite sarkoziste, de la gauche socialiste modérée, et des chrétiens démocrates de Bayrou, allait savoir construire des compromis soit à droite, soit à gauche, mais au sein du parlement, qui n’avait pas de majorité.
Les français n’ont pas osé, ou pas réussi, à imposer une cohabitation sur le modèle de 1986, 1993 ou 1997, périodes qui loin d’être chaotiques, sont plutôt restées en bonne mémoire.
Mais ils pensaient avoir créé un équilibre institutionnel forçant le chef de l’état et l’exécutif a transiger, dialoguer, compromettre.

La lecture de Macron est celle de Trump, Mac Mahon, Louis Napoleon Bonaparte : son suffrage seul compte. Tout le reste n’a aucune importance. Le gouvernement par ordonnance, déjà établi en 2017 et 2018 alors même qu’il avait une majorité plethorique au parlement, est renforcé encore avec l’abus du 49.3.
Macron prétendra même pendant les violentes manifestations, massives, contre sa réforme des retraites, que celle-ci était expressément dans sa campagne 2022, et que en votant pour lui, on ne votait pas contre Le Pen, on votait pour son projet de réforme.
Il enjambait ainsi la défaite de ses troupes et donc de son programme aux législatives.

Macron joue dès lors non pas le jeu démocratique et parlementaire, mais le jeu des sociétés de cour où l’on exile régulièrement le parlement lorsque celui-ci vote mal, à coup des procédures bloquées, le parlement étant lui-même trop divisé pour se mettre d’accord sur une procédure lui redonnant un peu de pouvoir, mais l’exposant à être dissous.

C’est la caricature de l’absolutisme de l’exécutif.

C’est la lecture institutionnelle des institutions démocratiques qu’appliquent par ailleurs des pouvoirs se prétendant forts, de Fico en République tchèque, ce social libéral passé au populisme nationaliste qui aida longtemps le SPD à verrouiller le PSE, chez Orban, à ses débuts prodige de la famille néolibérale centriste, passé aussi au populisme nationaliste conservateur, chez le PiS, qui a tout verrouillé pour empêcher une véritable alternance mais battu dans les urnes, ou encore chez Netanyahu.
En Allemagne, Schröder fut tenté par l’exécutif “basta”, mais n’alla pas jusqu’au bout, perdant les élections anticipées de très peu – 6000 voix – où il cherchait la sanction de sa lecture favorable à l’exécutif.

L’absolutisme de l’exécutif, où l’exécutif absolu, a toujours besoin de maîtriser les cours suprêmes.
Macron a bénéficié de nombreuses complicités pour arriver à ce but. D’abord, un de ses premiers conseillers, le radical de gauche Mezard, découvrit, rapporteur d’une commission sénatoriale sur les autorités indépendantes, qu’un président élu, d’après le président du conseil d’état, ne serait jamais mis en cause en cas d’irrégularités de ses comptes de campagne : l’élection absout.
Rappelons que Trump est en procès pour fraude électorale avant son élection en 2016, notamment sur la manipulation de l’opinion sur sa personnalité et sur les financements de cette campagne.
En 2015, la commission dit : le président français élu bénéficie d’une immunité administrative et juridique tacite sur les méthodes de son élection.
Il fallut bien des vicissitudes pour que la campagne 2007 de Sarkozy soit enfin traitée judiciairement, et celle de 2017 ne sera sans doute pas traitée avant la fin des mandats de Macron.
Mezard ensuite découvre l’extrême faiblesse intellectuelle du président de la commission nationale de contrôle des comptes de campagne, ainsi que l’extrême faiblesse de ses moyens d’enquête, la poussant du coup à l’extrême zèle tatillon sur des questions de détails, et la sévérité absolue sur des questions souvent triviales. Mezard signera l’amendement assurant à ce président le doublement de ses indemnités en janvier 2017.
Depuis, il est membre du conseil constitutionnel. Sur le dossier de la réforme des retraites, il se murmure qu’il fut celui, avec Goulard, une autre affidée de Macron, qui isolèrent Laurent Fabius, et firent passer l’essentiel de la loi, sanctionnant la lecture presidentialiste des institutions.

La Hongrie s’est retrouvée, comme la Pologne, en infraction avec l’Union Européenne sur la question de la cour suprême.
C’est la tentative de Nethanyahu de la réformer pour la rendre dépendante de l’exécutif qui a mobilisé l’opinion publique israélienne, avant le 7 octobre qui révéla qu’il n’était même pas capable d’assurer la sécurité des israeliens contre des terroristes islamistes, ou les crimes commis à Gaza, où après 7 mois il n’a atteint aucun de ses objectifs militaires (libération des otages, au contraire Tsahal a tué plusieurs otages qui avaient échappés à leurs geôliers, et destruction du Hamas).

Mais l’exécutif absolu est la forme de fonctionnement de l’Union Européenne.
C’est bien cela le paradoxe auquel l’Allemagne est souvent confronté, qui veut conserver la souveraineté du peuple au fondement démocratique AVEC le partage des pouvoirs, et qui proclame la prééminence de son parlement, et la cour de justice européenne, qui impose des décisions non votées par le peuple, décidées par deux organes exécutifs, la commission et le conseil des chefs de gouvernement.
Le Parlement européen, en effet, n’a pas de réel pouvoir de contrôle. L’absence de débat européen à l’échelle de l’élection ne permet pas non plus de dégager une volonté souveraine légitime.
La fiction démocratique de l’Union Européenne, c’est de penser que la somme des processus démocratiques de chaque état membre se reflète dans la composition de l’exécutif absolu européen.
Mais l’absence de réel contre pouvoir à l’exécutif, alors que la Cour de Justice Européenne a intérêt à étendre ses prérogatives au détriment des parlements et des cours suprêmes nationales, signifie que l’Union Européenne a adoptée un mode de fonctionnement extrêmement déséquilibré et bancal, où la légitimité exprimée par le peuple souverain, ou les sommes de peuples souverains limités à leurs débats nationaux, s’estompe et disparaît.

C’est finalement la question démocratique des années 2020 : entre la conception humaniste d’une démocratie équilibrant les pouvoirs, conception tirant ses racines dans l’humanisme puis les Lumières européennes, proclamant l’universalisme des droits humains, et la recherche d’une efficacité technocratique autoproclamée, ou d’une “cohérence du gouvernement” face à des ennemis de plus en plus fantasmés, conceptions misant sur l’exécutif absolu, et sacrifiant tant l’universalisme que les libertés publiques, il y a une lutte sans merci.

C’est finalement la lutte entre un bonapartisme plébiscitaire qui ouvre la voie à des totalitarismes au nom de l’efficacité, et la démocratie, entre l’autorité d’un camp sur les autres, et la liberté, entre la prééminence d’une coalition de classes sociales contre le plus grand nombre, et la solidarité nationale.

Finalement, les audiences sur l’immunité du président devant la cour suprême des États Unis, c’est la recherche de la sanction pour l’exécutif absolu : sanction par la condamnation, ou sanction par l’élection juridique au rang de nouveau principe, écrasant celui de la souveraineté du peuple, et de sa représentation par des parlements.

Et encore une fois : je le disais en 2017 déjà : Macron est, sur cette question essentielle pour la démocratie, du côté de Trump.